La FNEEQ au carrefour 1988-1995
De FNEEQ - 50 ans à faire école par nos luttes
LaFNEEQauCarrefour /
Affaiblie par les divisions internes et les attaques répétées des parties patronales, la FNEEQ se retrouve livrée à elle-même. Peut-elle continuer sur la même voie? Que ce soit la baisse des effectifs, les tiraillements entre regroupements ou les difficultés économiques, différents évènements vont contribuer à la définition de la nouvelle fédération, non sans difficultés. Le regroupement cégep est pris dans des négociations qui ne mènent nulle part, les chargées et chargés de cours s’organisent pour des jours meilleurs et le regroupe ment privé connait des ratés. Mais il y a une certitude: tout le monde travaille fort à la solution. Et la question nationale est toujours d’actualité.
En 1988, 16 syndicats quittent la Fédération : 13 des cégeps, un des collèges privés et deux de l'Université du Québec, le Syndicat des professeurs de l'Université du Québec (SPUQ), à Montréal, et le Syndicat des professeurs de l'Université du Québec à Rimouski (SPPUQAR). C’est un total de près de 4000 membres, soit près de 20 % des effectifs. Les syndicats de cégep dissidents créent une nouvelle structure, la Fédération autonome du collégial (FAC), alors qu’un des deux syndicats d’enseignants universitaires, le SPUQ, reste fidèle à la CSN et s’intègre à une autre fédération.
Les désaffiliations ouvrent la porte à la réflexion. D’où viennent-elles ? Pourquoi ? La FNEEQ est plongée dans le débat, à la recherche d’un nouvel équilibre, le début d’une longue route. Ronald Cameron commente: « J’arrive dans le monde des cégeps à 35 ans, au début des années 1990, au moment de la transition, selon moi, entre l’ancienne et la nouvelle FNEEQ. La scission de la FAC est un événement majeur de notre histoire[1]. »
Trouver la bonne structure pour une organisation regroupant trois milieux de travail de tailles inégales, mais surtout d'environnements différents, ne semble pas simple. La Fédération, malgré les défections, est encore largement majoritaire dans les trois secteurs où elle est présente, mais il y a un déséquilibre, un secteur étant plus important numériquement que les deux autres, celui des cégeps.
Denis Choinière, qui milite depuis les années 1970, a suivi l’évolution : « Quand les cégeps entraient en négo, les autres syndicats n’avaient plus de services. Pour nous, du privé, la FNEEQ disparaissait. Est alors arrivée l’idée des ateliers sectoriels, qui n’ont pas donné les résultats attendus, puis les regroupements, auxquels on attribue des ressources. Une évolution majeure, la structure actuelle en découle. C’était l’avenir[2].»
L’avènement de la FAC n’est pas un hasard. S’y sont concentrés tous les mécontentements des années passées : autant la droite – nous serions mieux entre nous, hors d’une centrale syndicale – que la gauche – la Fédération n’est pas assez radicale, la CSN est trop près du Parti québécois (PQ) – y trouvent des raisons de quitter.
Denis Choinière, alors président de la FNEEQ, n’est pas tendre avec le mouvement qui a amené les désaffiliations : « Pour beaucoup, dans la négociation, s’applique la théorie du ciel : le lieu où il n’y a plus de rapport de force, où tout a été gagné, le résultat parfait. Ça crée des prêtres, anti-négociation, qui ont toujours raison. Il y a un catéchisme à respecter obligatoirement. Et on serait bien mieux si on n’était qu’entre profs, on éblouirait le monde et tous comprendraient notre rôle[3]. »
Selon Guy Beaulieu, conseiller syndical à la Fédération à ce moment-là, « [l]e règlement de la négociation de 1986 a suscité la grogne et favorisé la division interne. Beaucoup jugeaient qu’on n’était pas maitres de nos destinées en étant membres de la CSN. Les décrets imposés par René Lévesque et le PQ, ils les avaient dans la gorge. Pour eux, l’appareil CSN était trop près du PQ. Cette grogne était encore plus forte dans les cégeps anglophones.
« Il y avait aussi la prédominance de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) dans les négociations du secteur public CSN et la question de la démocratie directe. Selon les dissidents, les syndicats n’étaient pas assez consultés avant les décisions finales.
Et il faut dire que, depuis 1983, la composition du comité exécutif était problématique : la présidente Rose Pellerin et le secrétaire général, Denis Choinière, venaient tous deux du privé. Ce dernier était même responsable de la négociation des cégeps. D’évidence, cela portait beaucoup à critique[4]. »
Qui dit perte de membres dit aussi diminution des budgets et des services, et nouvelles difficultés au quotidien. Guy Beaulieu ajoute : « La désaffiliation nous a fait perdre non seulement de l’argent, mais aussi le tempo, la crédibilité. Et n’eût été de la stupidité des choix constitutionnels de la FAC – n’engager aucun permanent, les remplacer par des enseignants libérés pour un maximum de quatre ans –, les dissidents nous auraient fait bien plus mal. Mais la structure de la FAC a fait qu’ils n’accumulaient aucune expérience de négociation, aucune expertise leur permettant de se développer[5]. »
Le mouvement de dissidence de syndicats vers la FAC s’arrête donc dès sa naissance en 1989, parce qu’ils n’ont jamais réussi à recruter d’autres membres par la suite. Ronald Cameron enseigne au cégep de Saint-Laurent lorsque la FAC tente de nouveau sa chance au milieu des années 1990 : « À mon arrivée au cegep, la situation syndicale est bloquée. En 1994-1995, il y a une tentative de désaffiliation de la FNEEQ par la FAC et ses partisans. La FAC le sait, elle y joue son avenir. Leur action réveille la vieille croute FNEEQ, qui était dormante. Et la FAC a perdu. »
Au début des années 1990, la création de la FAC fait aussi douter la Fédération des enseignants de cégep (FEC) affiliée à la CEQ. Sa faible attraction et son petit nombre de membres remettent en cause son existence même. Elle vient de perdre deux syndicats, ceux des cégeps de Sherbrooke et d’Abitibi, devenus indépendants dans un premier temps. Puis ses liens avec la FAC sont fragilisés après qu'elle ait rompu le cartel de négociation qui les liait, mettant fin à leur entente de services. Les dirigeants de la FEC lancent alors le « projet rassembleur», une sorte d’états généraux syndicaux réservés aux enseignantes et enseignants de cégep. Selon la proposition, chaque syndicat est représenté indépendamment de sa fédération syndicale, sans affiliation, pourrait-on dire. Puis, au sortir de l’exercice de discussion et de consultation, un vote d’affiliation a lieu en avril 1992.
La FNEEQ refuse de participer, préférant mettre son énergie sur la négociation à venir :
[...] Nous avons offert un cartel de négociation à la FEC et quelques rencontres pour discuter de l’unification des syndicats d’enseignantes et d’enseignants de cégeps. Pour nous, l’unification devrait passer par la négociation, afin que tous ensemble nous puissions travailler à l’amélioration des conditions d’exercice de la profession des membres que nous représentons[6].
La fédération
C’est dans ce contexte que se tient en 1989 le premier Congrès biennal de la FNEEQ, en remplacement du conseil fédéral de juin qui tenait lieu de congrès jusque là. Ainsi se présentait la proposition de modification de structure :
Cette réforme vise principalement à tenir compte de nos luttes communes en même temps que de la particularité de chaque groupe qui compose la FNEEQ. Ainsi, par exemple, chaque groupe se verra attribué le contrôle sur l’application de ses conventions collectives. Le Conseil fédéral, lieu de décision sur les sujets communs, serait dorénavant dissocié des regroupements. Il y aurait un Congrès d’orientation électif, à tous les deux ans. Par ailleurs, les membres du Bureau fédéral seraient désignés par les regroupements et élus par le Congrès. Le Bureau fédéral verrait accentuées ses missions régionales[7].
Trois regroupements sont ainsi créés : cégep (29 syndicats), privé (20 syndicats) et université (cinq syndicats). La crise et la baisse des ressources ont largement contribué à la création de ces regroupements. Sans le rôle joué par ceux-ci, la Fédération ne s’en serait peut-être pas sortie. La prise en charge des négociations par chaque regroupement est capitale dans le redressement. « Il fallait faire les négociations de manière différente», nous dit Denis Choinière, « on a modifié le processus de négociation en construisant, définissant nos demandes en regroupement. Chaque modification, chaque stratégie est approuvée au niveau du regroupement et non du comité de négociation ou de stratégie. On s’est aussi fixé une règle de majorité des deux tiers pour avancer. Clairement, on recherche le consensus[8].
À ce moment-là, les négociations du groupe cégep sont déjà entreprises et celles des chargées et chargés de cours sont en phase préparatoire, sans oublier que huit syndicats du regroupement privé sont bientôt en renouvellement de convention.
Les deux premiers regroupements se constituent assez rapidement dans le privé et à l’université, mais les syndicats de cégep sont méfiants devant cette nouvelle structure. Ils mettent quelques années à constituer leur regroupement: ce n’est qu’en 1993 qu’il rejoint les deux autres dans la structure.
Au départ, la coordination de chaque regroupement est assumée par un membre du comité exécutif. L’absence de représentation des cégeps au comité de 1993 impose la nomination à la coordination du regroupement d’un délégué membre du bureau fédéral. Claude Racine, membre libéré du comité consultatif sur la tâche, fait consensus et est élu par ses pairs premier délégué à la coordination du regroupement.
La mise en place de ce regroupement change la dynamique. Dorénavant, les trois secteurs arrivent aux instances fédérales avec des décisions et des politiques sectorielles clairement établies.
Va-et-vient à la direction
Au Congrès de 1993, Jean Salmon remplace Pierre Patry, candidat à la présidence, comme secrétaire général. À l’élection, l’équipe Patry remporte tous les postes, sauf un, celui du président. Denis Choinière bat Patry d’un vote et se retrouve à la direction, seul de son équipe.
Au printemps 1994, Edith Massicotte part volontairement et retourne à son collège, pour des raisons liées à sa précarité d’emploi. Quelques semaines plus tard, Jean Salmon quitte à son tour.
Ne restent alors en position de direction que Denis Choinière et Nacer Mazani. Cela représente beaucoup de travail pour deux personnes, car commence alors la négociation des cégeps. Les deux postes vacants sont pourvus quelques mois plus tard, au conseil fédéral de septembre : Oliva Bouchard remplace Jean Salmon et Madeleine Ferland prend la place d’Édith Massicotte.
Le comité exécutif n’est pas au bout de ses peines. En décembre de la même année, Nacer Mazani annonce son départ aux membres du bureau fédéral. Le comité est de nouveau complet en janvier 1995 lorsque Marie-Claire Chouinard prend le poste vacant de Nacer Mazani.
Un premier syndicat d’étudiants employés
À la même époque, la FNEEQ se lance sur un terrain encore vierge au Québec, celui de la syndicalisation des étudiantes salariées et étudiants salariés de leur université. Un premier syndicat se crée à l’Université McGill en 1993, qui s’affilie à la CSN et devient membre de la FNEEQ : l’Association des étudiant-e-s diplômé-e-s employé-e-s de McGill (AÉÉDEM), mieux connue sous son vocable anglophone Association of Graduate Students Employed at McGill (AGSEM).
La CSN est la première organisation à se lancer dans ce type de syndicalisation et ne sera pas la dernière, puisque d’autres syndicats s’y mettent et syndiquent plusieurs universités québécoises. Denis Choinière se questionne : « Pourquoi la CSN, qui avait si bien fait à McGill, n’en a pas récolté les fruits ? Difficile à dire[9]. »
Ce genre de milieu est difficile à organiser : les membres étudiants ne restent pas longtemps à l’université, entre trois et quatre ans la plupart du temps. Le roulement que cela occasionne dans l’Association est difficile à gérer. L’administration le sait bien et elle a l’habitude de tout reprendre à zéro. Denis Choinière est président de la Fédération au moment de la syndicalisation de l’AÉÉDEM: « Nous avons mis beaucoup d’énergie pour trouver de nouveaux syndicats chez les chargés de cours ou dans le privé. Lorsque nous avons organisé le syndicat de l’AÉÉDEM, nous avons recueilli 825 des 842 votes. Un de nos plus beaux succès. La FNEEQ a ensuite eu des demandes de l’UQAM, de l’Université Laval et d’ailleurs, mais on les a tous échappées. On comprend mal ce qui s’est passé. Nous avions pourtant le leadeurship[10]. »
Fait remarquable, plus tard, en 2011, après des années de lutte pour la reconnaissance, la Commission des relations de travail reconnait la syndicalisation des chargées et chargés de cours de l’Université McGill en les intégrant au sein de l’Association des étudiantes et étudiants diplômé-e-s employé-e-s de McGill ((AÉÉDEM). « C’est une immense victoire pour les chargées et chargés de cours et ça fait longtemps qu’on attend ce résultat » déclare alors Lerona Lewis, présidente du syndicat[11].
La réforme Robillard
En 1993, la ministre Robillard met de l’avant le « renouveau collégial» et la réforme des cégeps. Un autre chapitre du discours sur l’utilitarisme : l’éducation doit servir le marché du travail, répondre aux besoins des employeurs. L’approche par compétences fait son apparition. C’est le volet « éducation » du plan gouvernemental de réingénierie de l’État pour une plus grande place au secteur privé.
Les cégeps sont entrés dans le processus de décentralisation avec la Réforme Robillard en 1993. Celle-ci a complètement décentralisé les « activités d’apprentissage » (ou cours) de la formation technique et partiellement celles de la formation générale et préuniversitaire. Le découpage des cours, leur définition et leur durée, qui étaient les mêmes pour l’ensemble des collèges, varient maintenant d’un collège à l’autre. Seuls les objectifs des cours demeurent nationaux.
Cette réforme a aussi imposé une révision des programmes autour des compétences à acquérir plutôt que des connaissances, mis en place les conditions pour que les collèges puissent éventuellement délivrer leurs propres diplômes et fractionner les programmes en modules. Elle a aussi modifié la composition du conseil d’administration pour diminuer la représentation de l’interne, remplacé la commission pédagogique par une commission des études, obligé les collèges à se doter de politiques institutionnelles diverses, etc. Cette autonomie accrue des cégeps se paie par un contrôle plus serré de la « qualité » et un processus plus élaboré de reddition de comptes. La Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC) fut mise en place dans ce but. Son jugement se fait selon des critères formels et visant essentiellement la conformité des pratiques au cadre défini par elle[12].
Daniel Mary enseigne au cégep de Saint-Félicien : « La réforme de 1993 a changé les choses. Les programmes se sont diversifiés localement, mais sans ajout de ressources. Pour répondre aux nouvelles règles, les profs augmentent leur tâche en augmentant le nombre d’étudiants par groupe. Un groupe de 40 au lieu de 35, par exemple, amène plus d’encadrement, plus de corrections. Chaque cégep pouvait ainsi développer de nouveaux cours pour répondre à la demande locale, ajouter des options dans les programmes techniques[13]. »
À l’université
En février 1989, les 25 représentantes et représentants des cinq syndicats de chargées et chargés de cours, en réunion à Lanoraie, s’entendent sur un protocole de négociation regroupée. La négociation demeure locale, mais les syndicats se concertent sur les revendications, le déroulement des négociations et l’action. Ils mettent en place un fonds de solidarité pour les syndicats aux ressources limitées.
[...] Les stratégies locales étaient soumises au débat, non pour être remises en question, mais bien dans l’esprit d’être renforcées, raffinées par les dernières informations disponibles. Il y a, en effet, entre les administrateurs d’universités, un réseau d’échange d’informations et d’expériences très actif. Ce phénomène est surtout perceptible dans le réseau de l’Université du Québec, mais également, nous l’avons constaté, entre les universités publiques et privées. La découverte des « mandats réseau» était impérative pour distinguer ce qui pouvait avoir un caractère « national » de ce qui n’était que local, donc en principe plus aisément négociable. En quelque sorte, la concertation patronale rendait encore plus nécessaire la concertation syndicale[14].
Lors d’une rencontre internationale des chargées et chargés de cours des Amériques, dans les années 1990, le regroupement FNEEQ impressionne ses pairs par son organisation et ses résultats. Parmi ces syndicats canadiens et états-uniens, ceux de la FNEEQ sont les seuls à faire partie d’un regroupement national. Ailleurs, la rémunération pour la charge de cours n’atteint même pas la moitié de ce qu’on touche ici en moyenne; le retour au travail de session en session est non garanti, l’administration décide. Les syndicats canadiens sont ceux qui s’approchent le plus du modèle québécois, même si pour la plupart ils sont intégrés dans les syndicats de professeurs d’université, leur laissant donc très peu d’autonomie.
La montée des Chargées et Chargés de Cours
Pierre Patry est secrétaire général de la Fédération à cette époque: « La négociation de 1988-1989 est marquante. Elle a donné un nouvel élan au mouvement de syndicalisation chez les chargées et chargés de cours. Le vent a tourné avec l’arrivée du syndicat de Sherbrooke en 1991, par une entente de services. Les États généraux sur l’éducation de 1995 ont aussi montré l’importance de la place des chargés de cours dans ce débat. Tout cela a donné un élan considérable pour la reconnaissance et l’intégration des chargés de cours dans l’enseignement[15].»
D’autres syndicats d’universités viennent ensuite se joindre à la FNEEQ. En 1992, on y trouve l’Association des chargées et chargés d’enseignement de l’École de technologie supérieure (ACCEÉTS), qui deviendra en 2004 l’Association des Maîtres d’Enseignement de l’ÉTS (AMEETS). L’Association veut ainsi se distinguer des chargées et chargés de cours, car ses membres sont des enseignants réguliers, à temps plein. En 1993 s’y joignent les chargées et chargés de cours de l'Université du Québec à Hull – depuis 2002, l'Université du Québec en Outaouais –, puis celles et ceux de l’Université Concordia et de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue en 1994.
Le regroupement des chargées et chargés de cours à la FNEEQ représente alors [en 1995] plus de 70 % des 10 500 chargées et chargés de cours dans les universités québécoises[16]. Le Syndicat des tuteurs et tutrices de la Télé-université s’ajoutera en 1996-1997.
Guy Beaulieu est affecté à ce dossier en 1988 lors de l’arrivée des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal à la FNEEQ. « À cette époque, les chargées et chargés de cours étaient peu considérés au sein de la Fédération et leur niveau de frustration était très élevé. En période de difficultés financières, beaucoup trouvaient qu’ils coutaient très cher à la FNEEQ. Disons que le rapport qualité-prix des syndicats des universités par rapport à ceux des cégeps n’était pas très favorable aux chargées et chargés de cours. Beaucoup d’énergie et d’argent y étaient investis. La Fédération a finalement réussi à gérer la question. La création des regroupements a aidé[17]. »
Dans le Privé
Les établissements privés souffrent de la concurrence, comme l’écrit le regroupement dans son rapport au Congrès de 1991 :
[...] La logique même du libre marché implique que certains établissements doivent disparaître pour laisser la place à d’autres plus « adaptés». Ainsi, la concurrence accrue entre les institutions scolaires se vit, bien sûr, entre le réseau public et le réseau privé, mais elle se vit aussi à l’intérieur du réseau privé, comme dans le réseau public[18].
Très peu d’établissements privés ont réussi au fil du temps à intégrer le réseau public. Quatre réussites des années 1990 sont notables : le Séminaire de Saint-Georges devient le cégep Beauce-Appalaches (1990), le Collège Marie-Victorin devient le cégep Marie-Victorin (1993), l’École de musique Sainte-Croix est intégrée au cégep de Saint-Laurent (1997) et le Collège de l’Assomption est intégré au cégep régional de Lanaudière (1998). Ce sont quand même des pertes pour le privé.
Le Séminaire de Saint-Georges n’arrive plus à joindre les deux bouts et la clientèle diminue. Après moult péripéties, tractations et négociations, l’archevêché de Québec abandonne et vend les bâtiments au nouveau cégep Chaudière-Appalaches, qui intègre les étudiantes et les étudiants de niveau collégial. Ceux du secondaire sont intégrés dans la commission scolaire locale, grâce à l’ouverture d’esprit des personnes en cause, avec l’appui du syndicat de la CEQ. À ce jour, ce cas d’intégration particulièrement réussi n’a jamais été répété.
L’histoire de la conversion du Collège Marie-Victorin est différente. Au début des années 1990, le Collège connait une baisse de clientèle et doit mettre à pied une partie importante de son personnel enseignant. Ces enseignantes et enseignants se syndiquent alors à la CSN et demandent en 1991 une conversion du Collège au public. Ils croient que la FNEEQ et la CSN sont le bon véhicule pour mener le projet à terme. Ils n’ont pas tort. Le manque de places au collégial dans la région de Montréal à l’automne 1992 facilite le processus. Dès janvier suivant, le MESS annonce la création d’un cégep de 3000 places: le cégep Marie-Victorin est né.
Pierre Patry est alors secrétaire général : « Les conversions de Saint-Georges-de-Beauce en 1990 et de Marie-Victorin en 1993 se sont réalisées dans des contextes très différents. Saint-Georges-de-Beauce avait réclamé un cégep lors du sommet économique régional, les deux institutions publiques de proximité étant trop loin, à Thetford et à Lévis. Dans le cas de Marie-Victorin, la problématique est plus simple : les cégeps montréalais sont bondés et l’est de la ville n’est pas bien desservi. Les enseignants de Collège se sont affiliés à la FNEEQ dans l’espoir de passer au secteur public. La direction et le syndicat le voulaient. La situation est identique pour le Collège de l’Assomption après 1997 avec la création du cégep régional de Lanaudière. En 1999, on assiste cependant à l’échec d’intégration du Petit Séminaire de Québec au Cégep Garneau : la communauté religieuse refuse le transfert[19]. »
Le regroupement des syndicats du privé constate depuis un certain temps que la participation aux activités syndicales est problématique. À leur défense, les conditions de pratique syndicale sont difficiles dans le secteur, en comparaison de ce qu’on retrouve au cégep ou à l’université : la disparité dans le type d’établissements, l’isolement, les différents rapports vis-à-vis de l’autorité, certes, mais surtout l’absence d’une personne déléguée à la coordination.
L’obstacle majeur à la réalisation de nos objectifs a été la disponibilité des délégué-es à la coordination pour le regroupement. La bonne volonté des personnes concernées n’est absolument pas mise en cause, mais plusieurs facteurs de taille expliquent cette situation. Pensons, entre autres, aux horaires sur 7, 10 ou 15 jours lorsque la personne déléguée provient du secondaire, et surtout à la lourdeur du travail syndical local, etc. Les difficultés furent telles qu’aucune libération ne fut utilisée au cours de la deuxième année. La conséquence directe fut qu’aucun bulletin de liaison n’est paru au cours du mandat qui se termine. Malgré cette situation, le regroupement, après de longues discussions, a résolu de maintenir le poste de personne déléguée à la coordination et de consacrer de nouveaux efforts afin que « le bulletin de liaison» reprenne vie durant le mandat qui s’amorce[20].
Le regroupement corrige la situation après le Congrès de 1993. On organise une tournée des syndicats pour comprendre les attentes et les besoins. Dès l’année suivante, l’atmosphère change. Le regroupement reprend vie.
Cependant, le financement des établissements privés inquiète, tout comme la réforme du collégial pour les quatre établissements privés de ce niveau: les collèges Jean-de-Brébeuf et de Lévis, l’Institut Teccart et le Petit Séminaire de Québec. La question de l’évaluation du personnel enseignant est sur la table. Voilà un dossier où la position de la Fédération est difficile à appliquer au privé. Le regroupement cherche une position sur laquelle les syndicats pourraient s’appuyer.
En 1991, à la faveur de l’étude sur le projet de loi 141 sur l’enseignement privé, la FNEEQ témoigne et réitère sa position sur le statut de ces établissements:
La position de la CSN et de la FNEEQ est claire: « Nous revendiquons le développement d’un seul réseau public d’enseignement en s’assurant de l’intégration, à ce dernier, des personnels œuvrant actuellement dans les institutions privées.» Tel fut le cas l’an dernier, lors de la transformation du Séminaire Saint-Georges de Beauce: des enseignantes et enseignants ont été intégrés au cégep, les autres à la commission scolaire. Cette année, une campagne s’amorce dans le nord-est de Montréal visant la transformation du Collège Marie-Victorin en cégep public[21].
Les négociations
Dans les cégeps
En septembre 1989, en pleine campagne électorale, les syndicats des cégeps font grève pendant six jours. On n’aurait pu croire au début de la négociation que cela pourrait se produire, plusieurs syndicats étant toujours sous le choc de la négociation précédente.
Les négociations de 1989 se sont étendues sur plus de deux ans ! L’entente de principe, tant à la table CSN qu’à la table sectorielle, n’intervient que fin mars 1990. Au sectoriel, une première entente est obtenue le 29 octobre, aussitôt dénoncée par une partie patronale bicéphale qui aurait outrepassé son mandat en acceptant la clause concernant la formule de calcul de la charge de travail[22]. L’unification des tables sectorielles FNEEQ et FEC en février facilite le règlement.
Les principaux gains concernent les conditions le travail des femmes tels que l’équité salariale, l’accès à l’égalité, le harcèlement sexuel et les droits parentaux. Mais le plus important est la reconnaissance de la discrimination salariale faite aux femmes. Des gains également sur la tâche et le plancher d’emploi, l’ajout d’environ 400 enseignantes et enseignants équivalents à temps complet dans le réseau et une clause ascenseur basée sur les inscriptions aux cours qui permettra d’ajuster le nombre d’enseignantes et d’enseignants au nombre d’inscriptions aux cours. Sur le plan salarial, nous avons obtenu la protection du pouvoir d’achat pour l’année 1990, et fort probablement pour l’année 1991, année de l’introduction de la TPS fédérale[23].
Denis Choinière, président de la Fédération à ce moment, précise : « En 1989-1990, le règlement au collégial a été celui de la FNEEQ, ce qui a fait mal à l’image de la FEC. La Fédération autonome du collégial (FAC) venait d’être créée grâce au soutien de la FEC-CSQ. Cette dernière lui avait offert un cartel de négo, dans l’espoir sans doute de les intégrer. Mais la réalité s’est imposée. Si on compare les forces à ce moment-là, la FNEEQ reste dominante dans les cégeps et la FEC lutte pour sa survie[24]. »
Selon le conseiller Guy Beaulieu, « [...] la FNEEQ a toujours été dans les derniers à régler. Pourquoi ? Grâce à la force du groupe, mais aussi grâce à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) qui n’acceptait pas de règlement tant que les autres groupes n’avaient pas réglé. La FNEEQ a survécu et profité grâce à cela. Ce n’est pas le message le plus avancé à l’interne[25]. »
La « négociation » de 1992
Le gouvernement libéral de Robert Bourassa ne manque pas de suite dans les idées. En 1991, devant une conjoncture économique et un contexte inflationniste difficiles, il demande aux syndicats du secteur public d’accepter une prolongation d’un an avec gel de salaires. Les organisations syndicales acceptent un gel et une prolongation de six mois, jusqu’en juin 1992.
Avant même l’échéance, le gouvernement renie l’entente, demande le statu quo pour deux ans sur les clauses normatives et le renoncement à l’augmentation prévue le 1er juillet 1992. Devant l’opposition syndicale, il abandonne finalement son projet. Le ministre responsable déclare alors de privilégier la négociation.
Un an plus tard, il revient avec son idée en imposant la loi 102. « Le gel des salaires pour deux ans et la récupération du 1 % de la masse salariale s’appliquent à toutes et tous les salarié-es de l’État, qu’il y ait négociation ou non. Quant à nous, la FNEEQ, les composantes CSN du secteur public et d’autres organisations syndicales, le choix a été fait : ne pas négocier la récupération à même nos conditions de travail[26]. » Le gouvernement prolonge donc de deux ans les conventions collectives en vigueur dans le secteur public. De plus, toujours question d’économie, il menace la qualité des services publics.
Cette loi remet en question les principes démocratiques et le droit de négocier. Pour la première fois dans l’histoire moderne du secteur public, les organisations syndicales ne peuvent même pas déposer leurs demandes. Pour le gouvernement, tout est clair : Faisons payer aux employées et employés cette récupération de 1 %.
Les enseignantes et enseignants de cégeps ne sont pas ces individus privilégiés que nous présentent la partie patronale. Trente-trois pour cent sont précaires. La négociation devait entre autres servir à en réduire les effets et à étendre les conditions de travail de l’enseignement général à l’éducation des adultes.
La loi 102 vient effectivement tout bousiller, souligne Denis Choinière. La loi 102 nous empêche de négocier des améliorations aux conditions de vie au travail et à la qualité de l’enseignement, surtout dans un contexte d’expansion des effectifs étudiants où, de nos jours, la formation de niveau collégial est indispensable[27].
Et le même gouvernement prévoit, avec sa loi 198, que d’ici cinq ans il effectuera une réduction de 20 % du personnel cadre et jusqu’à 12 % des personnes salariées. Une solution inacceptable alors que le problème principal est celui de la précarité. En effet, plus de 40 % des enseignantes et enseignants ainsi que des chargées et chargés de cours membres de la FNEEQ sont en état de précarité. Plus de 25 % de la population active du Québec est sans emploi.
Notre parti pris pour les plus mal pris dépasse la question salariale. Il englobe une volonté de s’attaquer à la question du sous-emploi dans le secteur privé et à la question de la précarité des emplois dans le secteur public, le taux de précarité y étant plus élevé que dans le secteur privé. Actuellement, 55 % des salarié-es du réseau de la santé et des services sociaux et 30 % des salarié-es du réseau de l’éducation ont un emploi précaire[28].
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Ronald Cameron le 29 avril 2019.
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Guy Beaulieu le 27 mars 2019
- ↑ Loc. cit
- ↑ Pierre Patry, « le travail du regroupement cégep pour 1991-1992 », FNEEQ Actualité, octobre 1991, vol. 5, no 1, p. 18.
- ↑ procès-verbal, conseil fédéral FNEEQ, juin 1988, p. 55.
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ « les chargées et chargés de cours de l’université McGill se syndiquent», FNEEQ, [en ligne], 31 aout 2011. [https:// fneeq. qc.ca/fr/comm-006559/ ]
- ↑ Flavie Achard, « Menaces sur l’enseignement collégial », Nouveaux cahiers du socialisme, no 8, automne 2012, p. 118
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Daniel Mary le 12 avril 2019
- ↑ « l’éducation plus que jamais», Procès-verbal, 21e Congrès FNEEQ, juin 1991, annexe 7, regroupement université, Bilan de la période 19901991, p. 5
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Pierre Patry le 27 mai 2019
- ↑ « l’éducation… passionnément ! », Procès verbal, 23e Congrès FNEEQ, mai-juin 1995, annexe 6, regroupement des enseignant-es chargé-es de cours d’université, p. 2 et entrevue accordée à Jacques Gauthier par Pierre Patry le 27 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Guy Beaulieu le 27 mars 2019
- ↑ « l’éducation plus que jamais», Procès-verbal, 21e Congrès FNEEQ, juin 1991, annexe 7, regroupement privé, Bilan de la période 1990-1991, p. 3
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Pierre Patry le 27 mai 2019
- ↑ « l'avenir en tête », FNEEQ, Procès-verbal, 22e Congrès, juin 1993, annexe 7, regroupement privé, p. 5
- ↑ Line Boyer, « la révision de la loi de l’enseignement privé », FNEEQ Actualité, vol. 5, no 1, octobre 1991, p. 15
- ↑ « l’atelier cégep recommande l’adoption de l’entente finale », FNEEQ Actualité, vol. 3, no 4, avril. 1990, p. 1
- ↑ « le bilan, pour celles et ceux qui le trouvent trop long à lire », FNEEQ Actualité, vol. 4, no 2, décembre 1990, p. 13
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Guy Beaulieu le 27 mars 2019
- ↑ Mot de la direction, procès-verbal du conseil fédéral, annexe 2, novembre 1993, p. 2
- ↑ « les précaires», Nouvelles CSN, no 364, 17 septembre 1993, p. 5
- ↑ Mot d’ouverture, procès-verbal du conseil fédéral spécial, annexe 2, septembre 1993, p. 3