La FNEEQ au carrefour 1988-1995
De FNEEQ - 50 ans à faire école par nos luttes
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Affaiblie par les divisions internes et les attaques répétées des parties patronales, la FNEEQ se retrouve livrée à elle-même. Peut-elle continuer sur la même voie? Que ce soit la baisse des effectifs, les tiraillements entre regroupements ou les difficultés économiques, différents évènements vont contribuer à la définition de la nouvelle fédération, non sans difficultés. Le regroupement cégep est pris dans des négociations qui ne mènent nulle part, les chargées et chargés de cours s’organisent pour des jours meilleurs et le regroupe ment privé connait des ratés. Mais il y a une certitude: tout le monde travaille fort à la solution. Et la question nationale est toujours d’actualité.
En 1988, 16 syndicats quittent la Fédération : 13 des cégeps, un des collèges privés et deux de l'Université du Québec, le Syndicat des professeurs de l'Université du Québec (SPUQ), à Montréal, et le Syndicat des professeurs de l'Université du Québec à Rimouski (SPPUQAR). C’est un total de près de 4000 membres, soit près de 20 % des effectifs. Les syndicats de cégep dissidents créent une nouvelle structure, la Fédération autonome du collégial (FAC), alors qu’un des deux syndicats d’enseignants universitaires, le SPUQ, reste fidèle à la CSN et s’intègre à une autre fédération.
Les désaffiliations ouvrent la porte à la réflexion. D’où viennent-elles ? Pourquoi ? La FNEEQ est plongée dans le débat, à la recherche d’un nouvel équilibre, le début d’une longue route. Ronald Cameron commente: « J’arrive dans le monde des cégeps à 35 ans, au début des années 1990, au moment de la transition, selon moi, entre l’ancienne et la nouvelle FNEEQ. La scission de la FAC est un événement majeur de notre histoire[1]. »
Trouver la bonne structure pour une organisation regroupant trois milieux de travail de tailles inégales, mais surtout d'environnements différents, ne semble pas simple. La Fédération, malgré les défections, est encore largement majoritaire dans les trois secteurs où elle est présente, mais il y a un déséquilibre, un secteur étant plus important numériquement que les deux autres, celui des cégeps.
Denis Choinière, qui milite depuis les années 1970, a suivi l’évolution : « Quand les cégeps entraient en négo, les autres syndicats n’avaient plus de services. Pour nous, du privé, la FNEEQ disparaissait. Est alors arrivée l’idée des ateliers sectoriels, qui n’ont pas donné les résultats attendus, puis les regroupements, auxquels on attribue des ressources. Une évolution majeure, la structure actuelle en découle. C’était l’avenir[2].»
L’avènement de la FAC n’est pas un hasard. S’y sont concentrés tous les mécontentements des années passées : autant la droite – nous serions mieux entre nous, hors d’une centrale syndicale – que la gauche – la Fédération n’est pas assez radicale, la CSN est trop près du Parti québécois (PQ) – y trouvent des raisons de quitter.
Denis Choinière, alors président de la FNEEQ, n’est pas tendre avec le mouvement qui a amené les désaffiliations : « Pour beaucoup, dans la négociation, s’applique la théorie du ciel : le lieu où il n’y a plus de rapport de force, où tout a été gagné, le résultat parfait. Ça crée des prêtres, anti-négociation, qui ont toujours raison. Il y a un catéchisme à respecter obligatoirement. Et on serait bien mieux si on n’était qu’entre profs, on éblouirait le monde et tous comprendraient notre rôle[3]. »
Selon Guy Beaulieu, conseiller syndical à la Fédération à ce moment-là, « [l]e règlement de la négociation de 1986 a suscité la grogne et favorisé la division interne. Beaucoup jugeaient qu’on n’était pas maitres de nos destinées en étant membres de la CSN. Les décrets imposés par René Lévesque et le PQ, ils les avaient dans la gorge. Pour eux, l’appareil CSN était trop près du PQ. Cette grogne était encore plus forte dans les cégeps anglophones.
« Il y avait aussi la prédominance de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) dans les négociations du secteur public CSN et la question de la démocratie directe. Selon les dissidents, les syndicats n’étaient pas assez consultés avant les décisions finales.
Et il faut dire que, depuis 1983, la composition du comité exécutif était problématique : la présidente Rose Pellerin et le secrétaire général, Denis Choinière, venaient tous deux du privé. Ce dernier était même responsable de la négociation des cégeps. D’évidence, cela portait beaucoup à critique[4]. »
Qui dit perte de membres dit aussi diminution des budgets et des services, et nouvelles difficultés au quotidien. Guy Beaulieu ajoute : « La désaffiliation nous a fait perdre non seulement de l’argent, mais aussi le tempo, la crédibilité. Et n’eût été de la stupidité des choix constitutionnels de la FAC – n’engager aucun permanent, les remplacer par des enseignants libérés pour un maximum de quatre ans –, les dissidents nous auraient fait bien plus mal. Mais la structure de la FAC a fait qu’ils n’accumulaient aucune expérience de négociation, aucune expertise leur permettant de se développer[5]. »
Le mouvement de dissidence de syndicats vers la FAC s’arrête donc dès sa naissance en 1989, parce qu’ils n’ont jamais réussi à recruter d’autres membres par la suite. Ronald Cameron enseigne au cégep de Saint-Laurent lorsque la FAC tente de nouveau sa chance au milieu des années 1990 : « À mon arrivée au cegep, la situation syndicale est bloquée. En 1994-1995, il y a une tentative de désaffiliation de la FNEEQ par la FAC et ses partisans. La FAC le sait, elle y joue son avenir. Leur action réveille la vieille croute FNEEQ, qui était dormante. Et la FAC a perdu. »
Au début des années 1990, la création de la FAC fait aussi douter la Fédération des enseignants de cégep (FEC) affiliée à la CEQ. Sa faible attraction et son petit nombre de membres remettent en cause son existence même. Elle vient de perdre deux syndicats, ceux des cégeps de Sherbrooke et d’Abitibi, devenus indépendants dans un premier temps. Puis ses liens avec la FAC sont fragilisés après qu'elle ait rompu le cartel de négociation qui les liait, mettant fin à leur entente de services. Les dirigeants de la FEC lancent alors le « projet rassembleur», une sorte d’états généraux syndicaux réservés aux enseignantes et enseignants de cégep. Selon la proposition, chaque syndicat est représenté indépendamment de sa fédération syndicale, sans affiliation, pourrait-on dire. Puis, au sortir de l’exercice de discussion et de consultation, un vote d’affiliation a lieu en avril 1992.
La FNEEQ refuse de participer, préférant mettre son énergie sur la négociation à venir :
[...] Nous avons offert un cartel de négociation à la FEC et quelques rencontres pour discuter de l’unification des syndicats d’enseignantes et d’enseignants de cégeps. Pour nous, l’unification devrait passer par la négociation, afin que tous ensemble nous puissions travailler à l’amélioration des conditions d’exercice de la profession des membres que nous représentons[6].
La fédération
C’est dans ce contexte que se tient en 1989 le premier Congrès biennal de la FNEEQ, en remplacement du conseil fédéral de juin qui tenait lieu de congrès jusque là. Ainsi se présentait la proposition de modification de structure :
Cette réforme vise principalement à tenir compte de nos luttes communes en même temps que de la particularité de chaque groupe qui compose la FNEEQ. Ainsi, par exemple, chaque groupe se verra attribué le contrôle sur l’application de ses conventions collectives. Le Conseil fédéral, lieu de décision sur les sujets communs, serait dorénavant dissocié des regroupements. Il y aurait un Congrès d’orientation électif, à tous les deux ans. Par ailleurs, les membres du Bureau fédéral seraient désignés par les regroupements et élus par le Congrès. Le Bureau fédéral verrait accentuées ses missions régionales[7].
Trois regroupements sont ainsi créés : cégep (29 syndicats), privé (20 syndicats) et université (cinq syndicats). La crise et la baisse des ressources ont largement contribué à la création de ces regroupements. Sans le rôle joué par ceux-ci, la Fédération ne s’en serait peut-être pas sortie. La prise en charge des négociations par chaque regroupement est capitale dans le redressement. « Il fallait faire les négociations de manière différente», nous dit Denis Choinière, « on a modifié le processus de négociation en construisant, définissant nos demandes en regroupement. Chaque modification, chaque stratégie est approuvée au niveau du regroupement et non du comité de négociation ou de stratégie. On s’est aussi fixé une règle de majorité des deux tiers pour avancer. Clairement, on recherche le consensus[8].
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Ronald Cameron le 29 avril 2019.
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Guy Beaulieu le 27 mars 2019
- ↑ Loc. cit
- ↑ Pierre Patry, « le travail du regroupement cégep pour 1991-1992 », FNEEQ Actualité, octobre 1991, vol. 5, no 1, p. 18.
- ↑ procès-verbal, conseil fédéral FNEEQ, juin 1988, p. 55.
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 14 mai 2019