Changement de paradigme 1981-1988
De FNEEQ - 50 ans à faire école par nos luttes
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La dynamique syndicale favorable du début des années 1970 est bien disparue en ce début des années 1980. Les relations patronales syndicales se sont durcies, le chômage augmente, l’inflation galope, les taux d’intérêts bancaires atteignent des sommets. Tout est en place pour une explication, à l’allure de coupures et de restrictions pour les personnes employées des secteurs public et parapublic.
Il y avait d’abord les effets directs de la conjoncture économique : les licenciements massifs frappèrent avec force les travailleuses et travailleurs du secteur privé. De plus, la syndicalisation est devenue encore plus difficile : surabondance de main-d’œuvre, nombreuses petites unités, code du travail déficient, etc. Il y avait aussi des divisions comme on en retrouve dans tout organisme démocratique: conflit entre les élu-e-s et les permanent-e-s, divisions également entre les fédérations du secteur public et celles du privé sur les relations à avoir avec le gouvernement (ex.: participation à la CSST). Il semble que les syndiqué-e-s du secteur public considèrent le gouvernement plutôt comme un boss alors que ceux du privé le voient souvent comme un arbitre ; cependant, cette constatation n’explique pas tout.[1].
Avec la prise du pouvoir par le Parti québécois en 1976, les syndicats pensent qu’un gouvernement mené par cet allié leur sera favorable. Ce n’est pas vraiment le cas. Sans tenter de mesurer l’impact de la défaite référendaire de 1980 chez les uns et les autres, on peut penser que la morosité qui a suivi en fut aussi une conséquence.
En tout cas, la négociation qui s’est déroulée autour de ce référendum en a été teintée. Les suites de la défaite du « oui » ont été rudes. Les difficultés économiques, le désir de certains patrons d’en découdre après les succès syndicaux des années 1970, le cumul des lois spéciales dans le cadre des négociations, les législations anti-inflation, les coupures d’emploi et de salaires: la décennie 1980 a affaibli l’organisation et a fait fleurir la dissidence dans les rangs syndicaux, jusqu’à la désaffiliation d’une quinzaine de syndicats à la fin de la décennie.
Au sein de la Fédération
Dès la fin des années 1970, la Fédération a d’importants défis à relever. Une négociation difficile qui a laissé d’importantes divisions internes, une négociation à venir où l’employeur a le couteau entre les dents, une situation économique difficile qui ne favorise pas vraiment les revendications syndicales et n’incite pas à la sympathie de la population.
Le gouvernement encourage cette animosité en martelant que les personnes employées du secteur public sont privilégiées par rapport à celles du privé, touchées de plein fouet par la crise, alors qu’elles jouissent d’emplois garantis et ont de bonnes conditions de travail.
La division entre lignes politiques, qui se manifeste autant au sein des syndicats qu’à la Fédération, n’aide aucunement dans un tel contexte. Cette polarisation devient un obstacle à la démocratie syndicale et à l’ouverture, qui favoriserait des positions de ralliement.
La FNEQ entreprend alors un processus de réflexion « sur la vie de la fédération et sur les causes des problèmes de fonctionnement rencontrés depuis plusieurs années, tant au niveau des débats menés par les instances qu’à celui de l’unité d’action[2].
Parallèlement, les établissements du secteur privé se questionnent, d’abord sur les orientations politiques annoncées, mais jamais matérialisées du gouvernement du Parti québécois concernant le réseau éducatif privé, ensuite sur les restrictions budgétaires imposées au secteur de l’éducation, qui affectent aussi les enseignantes et les enseignants du secteur privé et, enfin, sur leur place dans la Fédération: un secteur minoritaire peut-il y être reconnu et respecté ?
Le gouvernement profite des difficultés syndicales pour gruger dans ses prérogatives. Sur la lancée des lois 24 et 25, il veut imposer un nouveau régime pédagogique au collégial, qu’il décrit lui-même comme le projet du Gouvernement à l’endroit des CÉGEPS et vise, selon sa campagne de promotion, un accueil plus large à la collectivité, le droit à l’étude, et le renforcement des responsabilités locales.
La FNEQ rétorque : aux besoins de qui veut-on vraiment répondre lorsqu’on parle de l’accueil plus large à la collectivité ? À ceux de la population en général ou de l’entreprise privée ? Quant au droit à l’étude, de quoi parle-t-on quand la quasi-totalité des cours est imposée, la formation professionnelle limitée ? Quant au renforcement des responsabilités locales, il faut comprendre qu’il s’agit du renforcement de la capacité d’obéir aux règles dictées d’en haut.
La FNEQ n’est pas d’accord avec ce renouveau proposé et rappelle les principes qu’elle défend : un enseignement de qualité égale tant pour les étudiantes et les étudiants adultes que pour les réguliers ; la nécessité de la polyvalence ; l’accès des travailleuses et des travailleurs à une éducation adéquate dans le respect de leurs choix et de leurs besoins ; l’autonomie départementale et le respect de la liberté scolaire.
C’est dans ce contexte qu'à l’automne 1980, le gouvernement annonce des coupures dans les secteurs public et parapublic, dont 165 millions de dollars en éducation. Dans le collégial public, les emplois des enseignantes et des enseignants étant protégés, ce sont les employées et employés de soutien et les professionnelles et professionnels qui écopent. L’éducation aux adultes aussi. Les universités, les cégeps autant que les collèges privés sont touchés. La lutte contre les compressions budgétaires s’active. Les enseignantes et les enseignants des établissements privés se voient confrontés à une augmentation de la tâche ainsi qu’à des menaces de mises à pied, de réduction de salaire ou de fermetures.
La table est mise pour les négociations
Confrontées à la division qui mine la Fédération, les instances cherchent des solutions. Un quatrième membre est ajouté à l’exécutif lors du conseil fédéral de juin 1981, avec le souci de voir les trois secteurs représentés au nouveau comité de direction. Cela plait particulièrement au secteur privé. Symboliquement peut-être, c’est un militant du privé qui est élu, Gérard Dionne du Collège de Lévis. À compter de ce moment, les trois secteurs seront toujours représentés à l’exécutif de la Fédération.
Francine Lalonde démissionne en octobre 1981, en réaction aux affrontements politiques qui divisent la Fédération et la CSN depuis des mois. Elle cible les militantes et militants politiques.
Il n’est jamais facile pour les membres de faire abstraction de leur engagement politique individuel, pour partager l’analyse politique faite à titre collectif en tant que syndicat et centrale: ce n’est pas facile pour personne dans l’éventail des engagements politiques actuels. À plus forte raison, s’il est déjà difficile pour les syndicats de partager l’analyse politique de la CSN et les conclusions qu’elle tire, la perspective pour les membres de voir utiliser leur syndicat aux fins politiques de quelques-uns est-il d’au- tant plus inacceptable. N’est-ce pas cette crainte, justifiée ou non, qui en grande partie, nous mine, nous divise, nous affaiblit? Si bien que, de part et d’autre, ce sont des raisons politiques qui ont été à l’origine de la polarisation parfois violente qui s’est manifestée pendant toute la négociation du Front commun et qui se manifeste souvent dans les ins- tances de la FNEQ et de la CSN surtout chez les militant-e-s qui ont le gouvernement comme employeur[3].
L’élection d’un nouvel exécutif en 1982 ne règle rien : les deux équipes, en forte opposition, font élire chacune deux de leurs candidats. C’est un exécutif divisé. Moins d’un an plus tard, la crise politique est toujours à l’avant-plan et le nouvel exécutif démissionne à son tour. La Fédération semble être devenue ingouvernable.
[…] les divisions à la Fédération, qui ne sont pas nouvelles ont été exacerbées au cours de l’année qui vient de s’écouler. Elles se sont manifestées notamment lors de la ronde de négociation dans les cégeps ; qu’on pense ici aux discussions importantes, qui se sont produites au moment de la proposition d’avril 1982, du cadre stratégique d’automne, de l’établissement des priorités, de la contre-proposition, du défi à la loi 111, du rapport de conciliation. Ces divisions transparaissent également lors des grands débats qui se mènent à l’intérieur de la centrale: négociations nationales, organisation des services, politique de présence et d’intervention de la CSN. […]
L’an prochain, la lutte aux décrets dans les cégeps, la pour- suite des négociations dans les universités et dans les collèges privés, les modifications au règlement des études collégiales, les modifications à l’enseignement professionnel, la restructuration scolaire, les changements technologiques, les modifications au régime de négociation dans le secteur public, les orientations de la CSN vont exiger des positions claires de la Fédération. Nous devons être prêts à soutenir ces positions par une mobilisation de tous les membres. La condition essentielle : retrouver notre unité[4].
Une des solutions en gestation pendant les années 1980 est de rem- placer les ateliers sectoriels par des regroupements et modifier les rapports de force.
La création du comité Femmes et la Fneq devient la FNEEQ
Au conseil de juin 1982, la FNEQ se féminise et devient la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ). Un comité femmes est aussi constitué lors du même conseil.
Flavie Achard est élue à l’exécutif à ce moment:
Un réseau-femmes a ensuite été mis sur pied et est demeuré très actif un temps. Ce fut une belle invention, mais « on n’a plus besoin de ça » et c’est disparu. Triste. On avait aussi développé l’idée de la présence d’une femme, la négociatrice, sur le comité de négo. J’ai joué ce rôle en 1995, avec l’appui du réseau-femmes. Me retrouver à ce poste en tant que femme n’a pas été facile, l’opposition a été rude. Après un premier vote négatif au regroupement, j’ai eu ma nomination à la réunion suivante[5].
Dans les cégeps
La négociation de 1982
La négociation du secteur public de 1982 se déroule dans un contexte difficile. Le référendum perdu, le gouvernement Lévesque se requalifie en « bon gouvernement» pour sa réélection en 1981, sur fond de crise économique. Il trouve un bon bouc émissaire chez les syndicats, les travailleuses et les travailleurs du secteur public en particulier, où tout n’est pas complètement rose par ailleurs. On parle à l’interne « d’occasions manquées» pour souligner le refus des membres devant des concessions jugées inacceptables par la majorité.
Souvent, les enseignantes et enseignants sont dénigrés, même au sein de leur centrale : ils sont qualifiés de privilégiés, ayant de bons salaires, un emploi garanti, du luxe en ces temps difficiles. Pour plusieurs, il ne faut pas trop s’exposer, faire profil bas et régler la négociation rapidement.
Cette négociation est une catastrophe, une descente aux enfers pour les enseignantes et les enseignants de cégeps comme pour tout le secteur public et parapublic québécois. Dans une situation économique favorisant toutes les manipulations, l’État employeur use de ses 95 pouvoirs, impose des conditions de travail à son avantage, réduit les salaires et les services publics. De plus, les employées et employés de l’État sont dénigrés, dévalorisés, leurs organisations qualifiées de corporatistes, d’égoïstes.
La négociation même des enseignantes et des enseignants n’est qu’une parodie. Après les décrets, il en résulte une grève de trois semaines vaincue par la loi 111, une des lois anti-travailleurs des plus répressives, qui ne sera défiée que quelques jours. Si des épisodes passés de négociation se présentent comme des succès, celui-ci est un échec cuisant, qui coute cher.
« Jamais, dans l’histoire du syndicalisme au Québec, nous n’avons été aussi attaqués. Dans le cas des cégeps, c’est la négation de la négociation des deux dernières rondes sur les chapitres les plus importants: tâche, sécurité d’emploi, département[6].
Les enseignantes et les enseignants de 37 cégeps participent à un débrayage de deux heures le 13 octobre. Ce ne sont pas seulement les conditions de travail qui sont menacées, mais le maintien des services publics, la qualité de l’éducation.
Le 29 novembre, la partie patronale met sur la table son cadre de règlement, refusé puis imposé.
À part les quelques articles que nous avons réussi à négocier dans ce simulacre de négociation, le décret contient, à peu de choses près, les « demandes » patronales initiales. Le décret s’appliquera dès le 1er janvier 1983, alors que les coupures de salaires prévues à la loi 70 se feront sentir sur les chèques de paie des mois de mars, avril et, mai[…][7]
Le gouvernement Lévesque passe à l’offensive en fin d’année en adoptant une série de décrets qui visent à imposer les conditions de travail. La loi 68 modifie le régime de retraite et fait épargner, selon lui, 700 millions de dollars au gouvernement. La loi 72 restreint l’exercice du droit de grève, la loi 70 impose une réduction salariale et la loi 105, qui contient 109 décrets, vient déterminer l’ensemble des conditions de travail et les salaires.
En février 1983, après trois semaines de grève en réaction aux décrets, la loi 111 s’abat sur les enseignantes et les enseignants, ordonne le retour au travail, sous la menace de perte d’ancienneté et de suspension de droits syndicaux. La majorité des syndicats du secteur cégep décident de poursuivre la lutte et votent le défi à la loi.
Jean Trudelle assiste à l’assemblée générale de son syndicat, qui décide de défier la loi : « Le vote était égal, exactement de 50/50. Dans un tel cas, c’est au président d’assemblée de trancher et il décide : on sort, on défie la loi. Et tout le syndicat est sorti, tous solidaires. Quelle démonstration ![8]
Flavie Achard participe au regroupement cégep alors qu’on vient juste de prendre connaissance de l’étendue de la loi 111 :
« Nous avons affronté la loi 111. Les assemblées locales ont lieu dans la journée aussitôt la loi connue et le regroupement est à minuit. La réunion est longue et l’assemblée vote la résistance à la loi 111 vers 3 h du matin. La réunion se termine à 4h et on se déplace sur la ligne de piquetage, morts de fatigue. Vingt-quatre syndicats sur 40 font la grève la première journée, puis deux autres s’ajoutent. Des profs passent quand même les lignes de piquetage, ils ont peur des conséquences. On défie la loi quelques jours, mais vient le moment où on s’est retrouvés seuls dehors. On a appelé à rentrer. Le PQ nous a proposé un conseil de conciliation. Son rapport atténuait le décret sur certains points. Les syndicats l’ont accepté. Cela a donné treize permanences de plus à Montmorency. La période qui a suivi en a été une de démobilisation. Beaucoup de membres étaient mécontents. Les négociations qui ont suivi (1985-1986) ont été difficiles.[9]»
Lorsqu’on se fait décréter des conditions de travail vraiment défavorables, que nos salaires sont réduits, il est facile pour nous, les membres, de penser que les syndicats qui nous défendent ont failli. Le militantisme en prend un coup. C’est là qu’en est la Fédération fin 1983.
Cette négociation a accentué les divisions dans la Fédération. Au nom de l’autonomie syndicale, certains syndicats refusent de se solidariser avec les politiques fédérales, ce qui provoque une cassure. Le politique a pris le dessus sur le syndical. Les votes de ralliement deviennent difficiles.
Pierre Léonard, secrétaire général de 1979 à 1983, est un témoin privilégié:
« Le gouvernement voulait ouvrir la convention, nous avons refusé. Ses difficultés financières étaient telles qu’il disait ne pas pouvoir honorer les hausses salariales prévues pour la dernière année. Une partie de la FNEEQ voulait continuer à revendiquer, l’autre était prête à renoncer. On n’a pas trouvé d’aménagement, le gouvernement a décrété et coupé les salaires de 20 %. Il a récupéré les augmentations de la dernière année en trois mois.[10]»
En juin 1983, la Fédération est dirigée par Rose Pellerin, la première présidente issue du secteur privé. Des quatre personnes élues, deux viennent du public et deux du privé, mais toutes ont participé à l’élaboration des politiques fédérales et les appuient. Dans les pages du journal de la Fédération, la présidente lance un appel, mais fait surtout le constat de la piètre situation syndicale:
Force nous est d’admettre que le gouvernement par ses attaques et ses stratégies lors de la dernière ronde de la soi-disant négociation a fortement déstabilisé le mouvement syndical et que maintenant il ne chôme pas pour exploiter cette lassitude, cet affaiblissement des syndiqué-e-s et des assemblées générales. Pendant que les syndicats autant du privé que du public se questionnent sur la forme de syndicalisme à exercer, le gouvernement agit et nous force à réagir. Comment allons-nous réagir[11]?
Denis Choinière est secrétaire général de cet exécutif:
«Je suis arrivé à l’exécutif en 1983, après les lois spéciales 70, 105 et 111 et les grèves illégales. Ces lois spéciales s’appliquent à tous, y compris le privé. La loi 111 fut finalement déclarée inconstitutionnelle en 1999-2000, parce que non traduite en anglais. Des syndicats anglophones de la FNEEQ avaient intenté ce recours, ce qui avait bien embêté la CSN.»[12]
Pierre Patry, qui siège à l’exécutif de la Fédération de 1989 à 1993 puis de 1995 à 2004, est alors un tout nouveau membre de la FNEEQ:
« Arrivé dans l’enseignement collégial une année après le décret de 1982, je découvre des syndiqué-es très démoralisés, les assemblées générales peu courues, faibles. Les membres sont démobilisés, ont de la difficulté à faire ne serait-ce que de petites actions. Je suis devenu membre de l’exécutif du syndicat du Cégep de Saint-Félicien en 1984 à la faveur de la démission de l’exécutif au complet. Le conseil syndical est alors devenu l’exécutif. J’ai participé à mes premières instances fédérales en 1985-1986. L’atmosphère est tendue, les votes serrés. Beaucoup de syndicats n’avaient même pas d’exécutif.[13]»
On trouve à cette époque d’autres raisons au mécontentement qui mènera plus tard aux désaffiliations. Denis Choinière:
« Beaucoup de syndicats n’ont pas senti que la CSN les a défendus correctement face à la loi 111. Ils pensent et disent que si l’organisation n’avait regroupé que des profs, ils auraient été mieux défendus et auraient obtenu de meilleures conditions de travail. Beaucoup de critiques contre le mouvement: pourquoi n’y a-t-il pas eu de grève générale illimitée pour soutenir les profs? Un autre facteur qui explique les désaffiliations de la fin des années 1980[14]. »
L’entreDeux
La lutte aux décrets est engagée
Cette rentrée scolaire n’est certainement pas une des plus gaies de notre vie syndicale. Dans les cégeps, il s’agit de la deuxième année de décrets avec une deuxième augmentation de tâche, un salaire de 80 % pour les MED, etc., et les premières applications du Règlement du régime pédagogique au collégial (politiques institutionnelles d’évaluation, refontes de programmes...), etc. ; les universités font face à des coupures de plus en plus dramatiques et les collèges privés doivent se débrouiller avec les effets à la baisse dus à la situation dans le secteur public[15].
Le gouvernement impose une réforme du régime de négociation dans le secteur public (loi 37) en 1985. Il propose dans cette réforme la fin de la négociation de la rémunération, qui serait dorénavant fixée par un mécanisme de comparaison des salaires des secteurs public et privé, réalisé par l’Institut de recherche sur la rémunération, une création gouvernementale. De même, le droit de grève est pratiquement aboli. Il est accordé pour la négociation des salaires la première année, mais les deux années subséquentes seront décrétées. Pourquoi se battre pour des salaires la première année de la convention alors que le gouvernement a le loisir de décréter les conditions de travail pour les deux années suivantes? Il met également en place le Conseil des services essentiels, plus orienté vers le secteur de la santé.
[À la FNEEQ] Des sujets majeurs comme l’organisation du travail, les mouvements de personnel et les droits syndicaux deviendraient l’objet d’une négociation locale. Et comme par hasard, toute matière de négociation locale serait soustraite à l’exercice du droit de grève. Aussi bien le dire clairement, l’avant-projet de loi c’est l’abolition du droit de grève dans le secteur public[16].
La négociation de 1986
C’est dans cette atmosphère polluée qu’arrive la négociation de 1986. Le mandat de l’équipe de négociation est clair : il faut redynamiser les assemblées générales si l’on veut effacer l’affront de 1982 et en arriver à une convention négociée. Mais la négociation ne sera pas facile. Certes, une convention collective est signée, mais selon le bilan de la FNEEQ, il s’en dégage un mécontentement et de la méfiance qui s’accumulent depuis 1979.
Malgré une perspective de règlement à l’automne, les divisions manifestes à la Fédération amènent des mésententes sur les priorités de négociation: les salaires pour les uns, la tâche pour les autres. Les tentatives de rapprochement ont peu de succès. Les débats sont aussi houleux autour de l’accès à l’égalité. Les premiers moyens d’action sont peu suivis chez les enseignantes et les enseignants. Même l’entente concernant l’Annexe A, la négociation locale, pose problème. Malgré une forte majorité, des syndicats refusent la décision du secteur.
Finalement, un sprint de négociation a lieu à l’automne et aboutit à une entente de principe à la fois sur les questions salariales à la table centrale et sur les parties normatives à la table sectorielle. L’atelier sectoriel, les 42, refuse, par un vote très serré, de recommander l’entente aux assemblées générales, lesquelles refusent de s’engager plus loin dans l’action. Le rejet de la proposition des 42 de refuser l’entente de principe par une majorité d’assemblées générales est considéré comme une acceptation de cette entente.
Les négociations se poursuivent sur les textes et la Fédération des cégeps signe enfin la convention collective le 12 juin. Il aura fallu au moins 45 réunions des responsables à la négociation (RLN) et 18 ateliers sectoriels; la ronde de négociation aura duré en tout deux ans et demi.
Malgré toutes les tentatives de la partie patronale pour faire éclater le cadre unitaire de négociation, l’accord en fin de course est de conserver le même texte pour les clauses normatives et de négocier les questions salariales à la table centrale. Cela fonctionne encore ainsi jusqu’à maintenant. On n’ouvre la négociation sur l’une ou l’autre des clauses normatives qu’à la demande d’une des deux parties.
Dans les universités
L’enseignement universitaire se précarise de plus en plus
Les universités québécoises ont toujours recours massivement au temps partiel. Les universités au Québec embauchent au moins 6000 chargé(e)s de cours par année: ceci signifie qu’une grande partie (près de 50 %) de l’enseignement universitaire est réservée à des « temps partiels ». Par comparaison, le secteur tertiaire au Québec embauche 25 % de « temps partiel » et l’ensemble de l’économie québécoise y recourt dans une proportion de 11 %. À l’université du Québec à Montréal, les chargé(e)s de cours sont syndiqués et en sont à leur troisième négociation; le SCCUQ est pour l’instant le seul syndicat de « temps partiel » dans l’enseignement universitaire à avoir une convention collective négociée. Au cours de la dernière année, plus de 1000 personnes différentes ont signé un contrat comme chargé(e) de cours: la proportion des femmes y atteint 30% et l’âge moyen de l’ensemble, 36 ans[17].
En 1987, des conflits marquent le renouvèlement des conventions collectives des chargées et chargés de cours des universités, notamment une grève à l’UQAM qui dure sept semaines. Les négociations entre le SCCUQ et l’UQAM se déroulent autour de deux axes majeurs: l’équité salariale avec les professeurs réguliers et l’obtention d’un programme de perfectionnement dans le but de favoriser la recherche et d’améliorer la qualité de l’enseignement des chargées et chargés de cours. Une loi spéciale votée par le gouvernement Bourassa met un terme à la grève.
Une requête en accréditation est déposée pour les chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Chicoutimi, au nombre de 225. Ils signent leur première convention fin 1984. Ils renégocieront en 1988 une entente prévoyant les mêmes conditions de salaire et de perfectionnement qu’à Montréal et Rimouski. En 1986, après sept années de lutte, le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal est accrédité. En 1988, les chargées et chargés de cours de l’Université Laval ont gain de cause dans leur négociation après sept mois d’affrontement.
Dans le secteur privé
Le regroupement des établissements privés, dans un mémoire présenté au Conseil supérieur de l’éducation en avril 1984, dénonce le piètre état des conditions de travail dans leur secteur: augmentation continuelle de la tâche, diminutions salariales, menaces constantes de fermeture et de pertes d’emploi. Les enseignantes et les enseignants ont l’impression que les directions s’intéressent plus à leur image pour fins de recrutement d’étudiantes et d’étudiants qu’à la qualité de l’enseignement[18].
Les syndicats du secteur privé rappellent qu’ils ne sont pas quantité négligeable dans le monde de l’éducation au Québec. L’enseignement privé y compte 135 maisons d’enseignement, dont 30 sont syndiquées. Elles forment plus de 90 000 étudiantes et étudiants. Le taux de syndicalisation de leur personnel enseignant est de 29,4 % 19. La quasi-vingtaine de syndicats membres de la FNEEQ demande à être incluse dans les négociations des secteurs public et parapublic, mais sa demande est de nouveau refusée.
Les Désaffiliations
Les premiers mois de 1988 voient 13 syndicats de cégep quitter la Fédération et se désaffilier de la CSN : André-Laurendeau, Campus Héritage, Dawson, Enseignement maritime, Gaspésie, Jonquière, Lionel-Groulx, Rimouski, Rivière-du-Loup, Rosemont, Sorel-Tracy, Valleyfield et Vanier. Le Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ) est aussi en démarche de quitter la Fédération, ce qu’il fera quelque temps plus tard. Un syndicat du privé est également parti.
Le recours aux lois spéciales
Il serait difficile de parler de l’histoire de la FNEEQ, dont le mandat est de négocier des conventions collectives pour ses membres, sans aborder la question des lois spéciales décrétant les conditions de travail, imposant des pénalités, interdisant la grève ou forçant le retour au travail.
Les lois spéciales font leur apparition dans l’arsenal juridique du gouvernement dès la syndicalisation en masse de ses employées et employés au milieu des années 1960. Comme si les législateurs n’avaient pas compris que les syndicats allaient utiliser le droit de grève qu’on leur avait accordé.
Le Québec est, pour ainsi dire, à l’avant-garde sur cette question. Entre octobre 1967 et novembre 1972, les sept lois spéciales concernant des conflits de travail au Canada sont toutes édictées au Québec:
À l’exception de celle de 1969, qui met un terme à la grève illégale des policiers et des pompiers de Montréal, ces lois québécoises visent toutes à mettre fin à des grèves légales, c’est-à-dire déclenchées en conformité avec les dispositions du Code du travail. Ces lois susciteront la colère du mouvement syndical et contribueront fortement à sa radicalisation dans les années 1970.
- ↑ « Bilan des « négociations» fNeeQ 1982-1983 », Info-FNEEQ, vol. 2, no 3, mars 1984, p. 6.
- ↑ Nouveau Pouvoir, vol. 10, no 2, novembre 1980, p. 1.
- ↑ « Entrevue avec Francine Lalonde », Nouveau Pouvoir, vol. 11, no 2, novembre 1981, p. 2.
- ↑ « Il faut refaire l’unité », Info-FNEEQ, mai 1983, p. 1.
- ↑ Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Flavie Achard le 5 juin 2019
- ↑ Info-Négo, bulletin no 12, 13 décembre 1982, p. 2
- ↑ « Les boss et le gouvernement se paient tout un décret ! », Info- Négo, bulletin no 12, 13 décembre 1982, p. 1.
- ↑ Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Jean Trudelle le 31 mai 2019.
- ↑ Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Flavie Achard le 5 juin 2019.
- ↑ Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Pierre Léonard, 4 juin 2019.
- ↑ « Reprendre l’offensive », Info-FNEEQ, vol. 1, no 2, décembre 1983, p. 2.
- ↑ Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 29 avril 2019.
- ↑ Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Pierre Patry le 27 mai 2019.
- ↑ Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 29 avril 2019.
- ↑ « Mot de l’exécutif », Info-FNEEQ, vol.1, no 1, septembre 1984, p. 2.
- ↑ Info-FNEEQ, vol. 2, no 6, 24 janvier 1985.
- ↑ « les universités québécoises ont toujours recours massivement au temps partiel», Info-FNEEQ, mai 1983, p. 4.
- ↑ « Mémoire sur la condition enseignante des « favorisés» du secteur privé », Info-FNEEQ, vol. 2, no 14, avril 1984.