Changement de paradigme 1981-1988
De FNEEQ - 50 ans à faire école par nos luttes
ChangementDeParadigme /
La dynamique syndicale favorable du début des années 1970 est bien disparue en ce début des années 1980. Les relations patronales syndicales se sont durcies, le chômage augmente, l’inflation galope, les taux d’intérêts bancaires atteignent des sommets. Tout est en place pour une explication, à l’allure de coupures et de restrictions pour les personnes employées des secteurs public et parapublic.
Il y avait d’abord les effets directs de la conjoncture économique : les licenciements massifs frappèrent avec force les travailleuses et travailleurs du secteur privé. De plus, la syndicalisation est devenue encore plus difficile : surabondance de main-d’œuvre, nombreuses petites unités, code du travail déficient, etc. Il y avait aussi des divisions comme on en retrouve dans tout organisme démocratique: conflit entre les élu-e-s et les permanent-e-s, divisions également entre les fédérations du secteur public et celles du privé sur les relations à avoir avec le gouvernement (ex.: participation à la CSST). Il semble que les syndiqué-e-s du secteur public considèrent le gouvernement plutôt comme un boss alors que ceux du privé le voient souvent comme un arbitre ; cependant, cette constatation n’explique pas tout.[1].
Avec la prise du pouvoir par le Parti québécois en 1976, les syndicats pensent qu’un gouvernement mené par cet allié leur sera favorable. Ce n’est pas vraiment le cas. Sans tenter de mesurer l’impact de la défaite référendaire de 1980 chez les uns et les autres, on peut penser que la morosité qui a suivi en fut aussi une conséquence.
En tout cas, la négociation qui s’est déroulée autour de ce référendum en a été teintée. Les suites de la défaite du « oui » ont été rudes. Les difficultés économiques, le désir de certains patrons d’en découdre après les succès syndicaux des années 1970, le cumul des lois spéciales dans le cadre des négociations, les législations anti-inflation, les coupures d’emploi et de salaires: la décennie 1980 a affaibli l’organisation et a fait fleurir la dissidence dans les rangs syndicaux, jusqu’à la désaffiliation d’une quinzaine de syndicats à la fin de la décennie.
Au sein de la Fédération
Dès la fin des années 1970, la Fédération a d’importants défis à relever. Une négociation difficile qui a laissé d’importantes divisions internes, une négociation à venir où l’employeur a le couteau entre les dents, une situation économique difficile qui ne favorise pas vraiment les revendications syndicales et n’incite pas à la sympathie de la population.
Le gouvernement encourage cette animosité en martelant que les personnes employées du secteur public sont privilégiées par rapport à celles du privé, touchées de plein fouet par la crise, alors qu’elles jouissent d’emplois garantis et ont de bonnes conditions de travail.
La division entre lignes politiques, qui se manifeste autant au sein des syndicats qu’à la Fédération, n’aide aucunement dans un tel contexte. Cette polarisation devient un obstacle à la démocratie syndicale et à l’ouverture, qui favoriserait des positions de ralliement.
La FNEQ entreprend alors un processus de réflexion « sur la vie de la fédération et sur les causes des problèmes de fonctionnement rencontrés depuis plusieurs années, tant au niveau des débats menés par les instances qu’à celui de l’unité d’action[2].
Parallèlement, les établissements du secteur privé se questionnent, d’abord sur les orientations politiques annoncées, mais jamais matérialisées du gouvernement du Parti québécois concernant le réseau éducatif privé, ensuite sur les restrictions budgétaires imposées au secteur de l’éducation, qui affectent aussi les enseignantes et les enseignants du secteur privé et, enfin, sur leur place dans la Fédération: un secteur minoritaire peut-il y être reconnu et respecté ?
Le gouvernement profite des difficultés syndicales pour gruger dans ses prérogatives. Sur la lancée des lois 24 et 25, il veut imposer un nouveau régime pédagogique au collégial, qu’il décrit lui-même comme le projet du Gouvernement à l’endroit des CÉGEPS et vise, selon sa campagne de promotion, un accueil plus large à la collectivité, le droit à l’étude, et le renforcement des responsabilités locales.
La FNEQ rétorque : aux besoins de qui veut-on vraiment répondre lorsqu’on parle de l’accueil plus large à la collectivité ? À ceux de la population en général ou de l’entreprise privée ? Quant au droit à l’étude, de quoi parle-t-on quand la quasi-totalité des cours est imposée, la formation professionnelle limitée ? Quant au renforcement des responsabilités locales, il faut comprendre qu’il s’agit du renforcement de la capacité d’obéir aux règles dictées d’en haut.
La FNEQ n’est pas d’accord avec ce renouveau proposé et rappelle les principes qu’elle défend : un enseignement de qualité égale tant pour les étudiantes et les étudiants adultes que pour les réguliers ; la nécessité de la polyvalence ; l’accès des travailleuses et des travailleurs à une éducation adéquate dans le respect de leurs choix et de leurs besoins ; l’autonomie départementale et le respect de la liberté scolaire.
C’est dans ce contexte qu'à l’automne 1980, le gouvernement annonce des coupures dans les secteurs public et parapublic, dont 165 millions de dollars en éducation. Dans le collégial public, les emplois des enseignantes et des enseignants étant protégés, ce sont les employées et employés de soutien et les professionnelles et professionnels qui écopent. L’éducation aux adultes aussi. Les universités, les cégeps autant que les collèges privés sont touchés. La lutte contre les compressions budgétaires s’active. Les enseignantes et les enseignants des établissements privés se voient confrontés à une augmentation de la tâche ainsi qu’à des menaces de mises à pied, de réduction de salaire ou de fermetures.
La table est mise pour les négociations
Confrontées à la division qui mine la Fédération, les instances cherchent des solutions. Un quatrième membre est ajouté à l’exécutif lors du conseil fédéral de juin 1981, avec le souci de voir les trois secteurs représentés au nouveau comité de direction. Cela plait particulièrement au secteur privé. Symboliquement peut-être, c’est un militant du privé qui est élu, Gérard Dionne du Collège de Lévis. À compter de ce moment, les trois secteurs seront toujours représentés à l’exécutif de la Fédération.
Francine Lalonde démissionne en octobre 1981, en réaction aux affrontements politiques qui divisent la Fédération et la CSN depuis des mois. Elle cible les militantes et militants politiques.
Il n’est jamais facile pour les membres de faire abstraction de leur engagement politique individuel, pour partager l’analyse politique faite à titre collectif en tant que syndicat et centrale: ce n’est pas facile pour personne dans l’éventail des engagements politiques actuels. À plus forte raison, s’il est déjà difficile pour les syndicats de partager l’analyse politique de la CSN et les conclusions qu’elle tire, la perspective pour les membres de voir utiliser leur syndicat aux fins politiques de quelques-uns est-il d’au- tant plus inacceptable. N’est-ce pas cette crainte, justifiée ou non, qui en grande partie, nous mine, nous divise, nous affaiblit? Si bien que, de part et d’autre, ce sont des raisons politiques qui ont été à l’origine de la polarisation parfois violente qui s’est manifestée pendant toute la négociation du Front commun et qui se manifeste souvent dans les ins- tances de la FNEQ et de la CSN surtout chez les militant-e-s qui ont le gouvernement comme employeur[3].
L’élection d’un nouvel exécutif en 1982 ne règle rien : les deux équipes, en forte opposition, font élire chacune deux de leurs candidats. C’est un exécutif divisé. Moins d’un an plus tard, la crise politique est toujours à l’avant-plan et le nouvel exécutif démissionne à son tour. La Fédération semble être devenue ingouvernable.
[…] les divisions à la Fédération, qui ne sont pas nouvelles ont été exacerbées au cours de l’année qui vient de s’écouler. Elles se sont manifestées notamment lors de la ronde de négociation dans les cégeps ; qu’on pense ici aux discussions importantes, qui se sont produites au moment de la proposition d’avril 1982, du cadre stratégique d’automne, de l’établissement des priorités, de la contre-proposition, du défi à la loi 111, du rapport de conciliation. Ces divisions transparaissent également lors des grands débats qui se mènent à l’intérieur de la centrale: négociations nationales, organisation des services, politique de présence et d’intervention de la CSN. […]
L’an prochain, la lutte aux décrets dans les cégeps, la pour- suite des négociations dans les universités et dans les collèges privés, les modifications au règlement des études collégiales, les modifications à l’enseignement professionnel, la restructuration scolaire, les changements technologiques, les modifications au régime de négociation dans le secteur public, les orientations de la CSN vont exiger des positions claires de la Fédération. Nous devons être prêts à soutenir ces positions par une mobilisation de tous les membres. La condition essentielle : retrouver notre unité[4].
Une des solutions en gestation pendant les années 1980 est de rem- placer les ateliers sectoriels par des regroupements et modifier les rapports de force.
La création du comité Femmes et la Fneq devient la FNEEQ
Au conseil de juin 1982, la FNEQ se féminise et devient la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ). Un comité femmes est aussi constitué lors du même conseil.
Flavie Achard est élue à l’exécutif à ce moment:
Un réseau-femmes a ensuite été mis sur pied et est demeuré très actif un temps. Ce fut une belle invention, mais « on n’a plus besoin de ça » et c’est disparu. Triste. On avait aussi développé l’idée de la présence d’une femme, la négociatrice, sur le comité de négo. J’ai joué ce rôle en 1995, avec l’appui du réseau-femmes. Me retrouver à ce poste en tant que femme n’a pas été facile, l’opposition a été rude. Après un premier vote négatif au regroupement, j’ai eu ma nomination à la réunion suivante[5].
Dans les cégeps
La négociation de 1982
La négociation du secteur public de 1982 se déroule dans un contexte difficile. Le référendum perdu, le gouvernement Lévesque se requalifie en « bon gouvernement» pour sa réélection en 1981, sur fond de crise économique. Il trouve un bon bouc émissaire chez les syndicats, les travailleuses et les travailleurs du secteur public en particulier, où tout n’est pas complètement rose par ailleurs. On parle à l’interne « d’occasions manquées» pour souligner le refus des membres devant des concessions jugées inacceptables par la majorité.
Souvent, les enseignantes et enseignants sont dénigrés, même au sein de leur centrale : ils sont qualifiés de privilégiés, ayant de bons salaires, un emploi garanti, du luxe en ces temps difficiles. Pour plusieurs, il ne faut pas trop s’exposer, faire profil bas et régler la négociation rapidement.
Cette négociation est une catastrophe, une descente aux enfers pour les enseignantes et les enseignants de cégeps comme pour tout le secteur public et parapublic québécois. Dans une situation économique favorisant toutes les manipulations, l’État employeur use de ses 95 pouvoirs, impose des conditions de travail à son avantage, réduit les salaires et les services publics. De plus, les employées et employés de l’État sont dénigrés, dévalorisés, leurs organisations qualifiées de corporatistes, d’égoïstes.
La négociation même des enseignantes et des enseignants n’est qu’une parodie. Après les décrets, il en résulte une grève de trois semaines vaincue par la loi 111, une des lois anti-travailleurs des plus répressives, qui ne sera défiée que quelques jours. Si des épisodes passés de négociation se présentent comme des succès, celui-ci est un échec cuisant, qui coute cher.
« Jamais, dans l’histoire du syndicalisme au Québec, nous n’avons été aussi attaqués. Dans le cas des cégeps, c’est la négation de la négociation des deux dernières rondes sur les chapitres les plus importants: tâche, sécurité d’emploi, département[6].
Les enseignantes et les enseignants de 37 cégeps participent à un débrayage de deux heures le 13 octobre. Ce ne sont pas seulement les conditions de travail qui sont menacées, mais le maintien des services publics, la qualité de l’éducation.
Le 29 novembre, la partie patronale met sur la table son cadre de règlement, refusé puis imposé.
À part les quelques articles que nous avons réussi à négo- cier dans ce simulacre de négociation, le décret contient, à peu de choses près, les « demandes » patronales initiales. Le décret s’appliquera dès le 1er janvier 1983, alors que les coupures de salaires prévues à la loi 70 se feront sentir sur les chèques de paie des mois de mars, avril et, mai[…][7]
- ↑ « Bilan des « négociations» fNeeQ 1982-1983 », Info-FNEEQ, vol. 2, no 3, mars 1984, p. 6.
- ↑ Nouveau Pouvoir, vol. 10, no 2, novembre 1980, p. 1.
- ↑ « entrevue avec Francine Lalonde », Nouveau Pouvoir, vol. 11, no 2, novembre 1981, p. 2.
- ↑ « il faut refaire l’unité », Info-FNEEQ, mai 1983, p. 1.
- ↑ entrevue accordée à Jacques Gauthier par flavie Achard le 5 juin 2019
- ↑ Info-Négo, bulletin no 12, 13 décembre 1982, p. 2
- ↑ « les boss et le gouvernement se paient tout un décret ! », Info- Négo, bulletin no 12, 13 décembre 1982, p. 1.