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Changement de paradigme 1981-1988

De FNEEQ - 50 ans à faire école par nos luttes

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Révision datée du 17 mai 2021 à 15:30 par SoniaBeauchamp (discussion | contributions)
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La dynamique syndicale favorable du début des années 1970 est bien disparue en ce début des années 1980. Les relations patronales ­syndicales se sont durcies, le chômage augmente, l’inflation galope, les taux d’intérêts bancaires atteignent des sommets. Tout est en place pour une expli­cation, à l’allure de coupures et de restric­tions pour les personnes employées des secteurs public et parapublic.

Il y avait d’abord les effets directs de la conjoncture économique : les licenciements massifs frappèrent avec force les travailleuses et travailleurs du secteur privé. De plus, la syndicalisation est devenue encore plus difficile : surabondance de main-d’œuvre, nombreuses petites unités, code du travail déficient, etc. Il y avait aussi des divisions comme on en retrouve dans tout organisme démocratique: conflit entre les élu-e-s et les permanent-e-s, divisions également entre les fédérations du secteur public et celles du privé sur les relations à avoir avec le gouvernement (ex.: participation à la CSST). Il semble que les syndiqué-e-s du secteur public considèrent le gouvernement plutôt comme un boss alors que ceux du privé le voient souvent comme un arbitre ; cependant, cette constatation n’explique pas tout.[1].

Avec la prise du pouvoir par le Parti québécois en 1976, les syndicats pensent qu’un gouvernement mené par cet allié leur sera favorable. Ce n’est pas vraiment le cas. Sans tenter de mesurer l’impact de la défaite référendaire de 1980 chez les uns et les autres, on peut penser que la morosité qui a suivi en fut aussi une conséquence.

En tout cas, la négociation qui s’est déroulée autour de ce référendum en a été teintée. Les suites de la défaite du « oui » ont été rudes. Les difficultés économiques, le désir de certains patrons d’en découdre après les succès syndicaux des années 1970, le cumul des lois spéciales dans le cadre des négociations, les législations anti-inflation, les coupures d’emploi et de salaires: la décennie 1980 a affaibli l’organisation et a fait fleurir la dissidence dans les rangs syndicaux, jusqu’à la désaffiliation d’une quinzaine de syndicats à la fin de la décennie.

Au sein de la Fédération

Dès la fin des années 1970, la Fédération a d’importants défis à relever. Une négociation difficile qui a laissé d’importantes divisions internes, une négociation à venir où l’employeur a le couteau entre les dents, une situation économique difficile qui ne favorise pas vraiment les revendications syndicales et n’incite pas à la sympathie de la population.

Le gouvernement encourage cette animosité en martelant que les personnes employées du secteur public sont privilégiées par rapport à celles du privé, touchées de plein fouet par la crise, alors qu’elles jouissent d’emplois garantis et ont de bonnes conditions de travail.

La division entre lignes politiques, qui se manifeste autant au sein des syndicats qu’à la Fédération, n’aide aucunement dans un tel contexte. Cette polarisation devient un obstacle à la démocratie syndicale et à l’ouverture, qui favoriserait des positions de ralliement.

La FNEQ entreprend alors un processus de réflexion « sur la vie de la fédération et sur les causes des problèmes de fonctionnement rencontrés depuis plusieurs années, tant au niveau des débats menés par les instances qu’à celui de l’unité d’action[2].

Parallèlement, les établissements du secteur privé se questionnent, d’abord sur les orientations politiques annoncées, mais jamais matérialisées du gouvernement du Parti québécois concernant le réseau éducatif privé, ensuite sur les restrictions budgétaires imposées au secteur de l’éducation, qui affectent aussi les enseignantes et les enseignants du secteur privé et, enfin, sur leur place dans la Fédération: un secteur minoritaire peut-il y être reconnu et respecté ?

Le gouvernement profite des difficultés syndicales pour gruger dans ses prérogatives. Sur la lancée des lois 24 et 25, il veut imposer un nouveau régime pédagogique au collégial, qu’il décrit lui-même comme le projet du Gouvernement à l’endroit des CÉGEPS et vise, selon sa campagne de promotion, un accueil plus large à la collectivité, le droit à l’étude, et le renforcement des responsabilités locales.

La FNEQ rétorque : aux besoins de qui veut-on vraiment répondre lorsqu’on parle de l’accueil plus large à la collectivité ? À ceux de la population en général ou de l’entreprise privée ? Quant au droit à l’étude, de quoi parle-t-on quand la quasi-totalité des cours est imposée, la formation professionnelle limitée ? Quant au renforcement des responsabilités locales, il faut comprendre qu’il s’agit du renforcement de la capacité d’obéir aux règles dictées d’en haut.

La FNEQ n’est pas d’accord avec ce renouveau proposé et rappelle les principes qu’elle défend : un enseignement de qualité égale tant pour les étudiantes et les étudiants adultes que pour les réguliers ; la nécessité de la polyvalence ; l’accès des travailleuses et des travailleurs à une éducation adéquate dans le respect de leurs choix et de leurs besoins ; l’autonomie départementale et le respect de la liberté scolaire.

C’est dans ce contexte qu'à l’automne 1980, le gouvernement annonce des coupures dans les secteurs public et parapublic, dont 165 millions de dollars en éducation. Dans le collégial public, les emplois des enseignantes et des enseignants étant protégés, ce sont les employées et employés de soutien et les professionnelles et professionnels qui écopent. L’éducation aux adultes aussi. Les universités, les cégeps autant que les collèges privés sont touchés. La lutte contre les compressions budgétaires s’active. Les enseignantes et les enseignants des établissements privés se voient confrontés à une augmentation de la tâche ainsi qu’à des menaces de mises à pied, de réduction de salaire ou de fermetures.

La table est mise pour les négociations

Confrontées à la division qui mine la Fédération, les instances cherchent des solutions. Un quatrième membre est ajouté à l’exécutif lors du conseil fédéral de juin 1981, avec le souci de voir les trois secteurs représentés au nouveau comité de direction. Cela plait particulièrement au secteur privé. Symboliquement peut-être, c’est un militant du privé qui est élu, Gérard Dionne du Collège de Lévis. À compter de ce moment, les trois secteurs seront toujours représentés à l’exécutif de la Fédération.

Francine Lalonde démissionne en octobre 1981, en réaction aux affrontements politiques qui divisent la Fédération et la CSN depuis des mois. Elle cible les militantes et militants politiques.

Il n’est jamais facile pour les membres de faire abstraction de leur engagement politique individuel, pour partager l’analyse politique faite à titre collectif en tant que syndicat et centrale: ce n’est pas facile pour personne dans l’éventail des engagements politiques actuels. À plus forte raison, s’il est déjà difficile pour les syndicats de partager l’analyse politique de la CSN et les conclusions qu’elle tire, la perspective pour les membres de voir utiliser leur syndicat aux fins politiques de quelques-uns est-il d’au- tant plus inacceptable. N’est-ce pas cette crainte, justifiée ou non, qui en grande partie, nous mine, nous divise, nous affaiblit? Si bien que, de part et d’autre, ce sont des raisons politiques qui ont été à l’origine de la polarisation parfois violente qui s’est manifestée pendant toute la négociation du Front commun et qui se manifeste souvent dans les ins- tances de la FNEQ et de la CSN surtout chez les militant-e-s qui ont le gouvernement comme employeur[3].

Francine Lalonde démissionne lors du Conseil fédéral d’octobre 1981.

L’élection d’un nouvel exécutif en 1982 ne règle rien : les deux équipes, en forte opposition, font élire chacune deux de leurs candidats. C’est un exécutif divisé. Moins d’un an plus tard, la crise politique est toujours à l’avant-plan et le nouvel exécutif démissionne à son tour. La Fédération semble être devenue ingouvernable.

[…] les divisions à la Fédération, qui ne sont pas nouvelles ont été exacerbées au cours de l’année qui vient de s’écouler. Elles se sont manifestées notamment lors de la ronde de négociation dans les cégeps ; qu’on pense ici aux discussions importantes, qui se sont produites au moment de la proposition d’avril 1982, du cadre stratégique d’automne, de l’établissement des priorités, de la contre-proposition, du défi à la loi 111, du rapport de conciliation. Ces divisions transparaissent également lors des grands débats qui se mènent à l’intérieur de la centrale: négociations nationales, organisation des services, politique de présence et d’intervention de la CSN. […]

L’an prochain, la lutte aux décrets dans les cégeps, la pour- suite des négociations dans les universités et dans les collèges privés, les modifications au règlement des études collégiales, les modifications à l’enseignement professionnel, la restructuration scolaire, les changements technologiques, les modifications au régime de négociation dans le secteur public, les orientations de la CSN vont exiger des positions claires de la Fédération. Nous devons être prêts à soutenir ces positions par une mobilisation de tous les membres. La condition essentielle : retrouver notre unité[4].

Une des solutions en gestation pendant les années 1980 est de rem- placer les ateliers sectoriels par des regroupements et modifier les rapports de force.

Le nouvel exécutif du président Claude Gauthier est divisé et ne tiendra pas longtemps.

La création du comité Femmes et la Fneq devient la FNEEQ

Au conseil de juin 1982, la FNEQ se féminise et devient la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ). Un comité femmes est aussi constitué lors du même conseil.

Flavie Achard est élue à l’exécutif à ce moment:

Un réseau-femmes a ensuite été mis sur pied et est demeuré très actif un temps. Ce fut une belle invention, mais « on n’a plus besoin de ça » et c’est disparu. Triste. On avait aussi développé l’idée de la présence d’une femme, la négociatrice, sur le comité de négo. J’ai joué ce rôle en 1995, avec l’appui du réseau-femmes. Me retrouver à ce poste en tant que femme n’a pas été facile, l’opposition a été rude. Après un premier vote négatif au regroupement, j’ai eu ma nomination à la réunion suivante[5].

Le réseau­ femmes a eu son rôle à jouer dans la féminisation du nom de la fédération.

Dans les cégeps

La négociation de 1982

La négociation du secteur public de 1982 se déroule dans un contexte difficile. Le référendum perdu, le gouvernement Lévesque se requalifie en « bon gouvernement» pour sa réélection en 1981, sur fond de crise économique. Il trouve un bon bouc émissaire chez les syndicats, les travailleuses et les travailleurs du secteur public en particulier, où tout n’est pas complètement rose par ailleurs. On parle à l’interne « d’occasions manquées» pour souligner le refus des membres devant des concessions jugées inacceptables par la majorité.

Souvent, les enseignantes et enseignants sont dénigrés, même au sein de leur centrale : ils sont qualifiés de privilégiés, ayant de bons salaires, un emploi garanti, du luxe en ces temps difficiles. Pour plusieurs, il ne faut pas trop s’exposer, faire profil bas et régler la négociation rapidement.

Cette négociation est une catastrophe, une descente aux enfers pour les enseignantes et les enseignants de cégeps comme pour tout le secteur public et parapublic québécois. Dans une situation économique favorisant toutes les manipulations, l’État employeur use de ses 95 pouvoirs, impose des conditions de travail à son avantage, réduit les salaires et les services publics. De plus, les employées et employés de l’État sont dénigrés, dévalorisés, leurs organisations qualifiées de corporatistes, d’égoïstes.

Piquetage devant un cégep durant la grève de 24 heures du 10 novembre 1982.
Réal Lafontaine de la FTQ, les présidents Louis Laberge de la FTQ et Donatien Corriveau de la CSN, le négociateur à la table centrale, Jean­-François Munn, aussi coordonnateur du CCSNP et le président de la CEQ Robert Gaulin lors de la Commission parlementaire sur les lois 68, 70 et 72, le 11 juin 1982.

La négociation même des enseignantes et des enseignants n’est qu’une parodie. Après les décrets, il en résulte une grève de trois semaines vaincue par la loi 111, une des lois anti-travailleurs des plus répressives, qui ne sera défiée que quelques jours. Si des épisodes passés de négociation se présentent comme des succès, celui-ci est un échec cuisant, qui coute cher.

« Jamais, dans l’histoire du syndicalisme au Québec, nous n’avons été aussi attaqués. Dans le cas des cégeps, c’est la négation de la négociation des deux dernières rondes sur les chapitres les plus importants: tâche, sécurité d’emploi, département[6].

Les enseignantes et les enseignants de 37 cégeps participent à un débrayage de deux heures le 13 octobre. Ce ne sont pas seulement les conditions de travail qui sont menacées, mais le maintien des services publics, la qualité de l’éducation.

Le 29 novembre, la partie patronale met sur la table son cadre de règlement, refusé puis imposé.

À part les quelques articles que nous avons réussi à négocier dans ce simulacre de négociation, le décret contient, à peu de choses près, les « demandes » patronales initiales. Le décret s’appliquera dès le 1er janvier 1983, alors que les coupures de salaires prévues à la loi 70 se feront sentir sur les chèques de paie des mois de mars, avril et, mai[…][7]

Le gouvernement Lévesque passe à l’offensive en fin d’année en adoptant une série de décrets qui visent à imposer les conditions de travail. La loi 68 modifie le régime de retraite et fait épargner, selon lui, 700 millions de dollars au gouvernement. La loi 72 restreint l’exercice du droit de grève, la loi 70 impose une réduction salariale et la loi 105, qui contient 109 décrets, vient déterminer l’ensemble des conditions de travail et les salaires.

En février 1983, après trois semaines de grève en réaction aux décrets, la loi 111 s’abat sur les enseignantes et les enseignants, ordonne le retour au travail, sous la menace de perte d’ancienneté et de suspension de droits syndicaux. La majorité des syndicats du secteur cégep décident de poursuivre la lutte et votent le défi à la loi.

Jean Trudelle assiste à l’assemblée générale de son syndicat, qui décide de défier la loi : « Le vote était égal, exactement de 50/50. Dans un tel cas, c’est au président d’assemblée de trancher et il décide : on sort, on défie la loi. Et tout le syndicat est sorti, tous solidaires. Quelle démonstration ![8]

Flavie Achard participe au regroupement cégep alors qu’on vient juste de prendre connaissance de l’étendue de la loi 111 :

« Nous avons affronté la loi 111. Les assemblées locales ont lieu dans la journée aussitôt la loi connue et le regroupement est à minuit. La réunion est longue et l’assemblée vote la résistance à la loi 111 vers 3 h du matin. La réunion se termine à 4h et on se déplace sur la ligne de piquetage, morts de fatigue. Vingt-quatre syndicats sur 40 font la grève la première journée, puis deux autres s’ajoutent. Des profs passent quand même les lignes de piquetage, ils ont peur des conséquences. On défie la loi quelques jours, mais vient le moment où on s’est retrouvés seuls dehors. On a appelé à rentrer. Le PQ nous a proposé un conseil de conciliation. Son rapport atténuait le décret sur certains points. Les syndicats l’ont accepté. Cela a donné treize permanences de plus à Montmorency. La période qui a suivi en a été une de démobilisation. Beaucoup de membres étaient mécontents. Les négociations qui ont suivi (1985-1986) ont été difficiles.[9]»

Les enseignantes et les enseignants du Cégep de Saint­-Hyacinthe dressent une ligne de piquetage devant leur collège lors d’un débrayage le 27 janvier 1983.

Lorsqu’on se fait décréter des conditions de travail vraiment défavorables, que nos salaires sont réduits, il est facile pour nous, les membres, de penser que les syndicats qui nous défendent ont failli. Le militantisme en prend un coup. C’est là qu’en est la Fédération fin 1983.

Grande manifestation du Front commun devant l’Assemblée Nationale le 29 janvier 1983.

Cette négociation a accentué les divisions dans la Fédération. Au nom de l’autonomie syndicale, certains syndicats refusent de se solidariser avec les politiques fédérales, ce qui provoque une cassure. Le politique a pris le dessus sur le syndical. Les votes de ralliement deviennent difficiles.

Pierre Léonard, secrétaire général de 1979 à 1983, est un témoin privilégié:

« Le gouvernement voulait ouvrir la convention, nous avons refusé. Ses difficultés financières étaient telles qu’il disait ne pas pouvoir honorer les hausses salariales prévues pour la dernière année. Une partie de la FNEEQ voulait continuer à revendiquer, l’autre était prête à renoncer. On n’a pas trouvé d’aménagement, le gouvernement a décrété et coupé les salaires de 20 %. Il a récupéré les augmentations de la dernière année en trois mois.[10]»

En juin 1983, la Fédération est dirigée par Rose Pellerin, la première présidente issue du secteur privé. Des quatre personnes élues, deux viennent du public et deux du privé, mais toutes ont participé à l’élaboration des politiques fédérales et les appuient. Dans les pages du journal de la Fédération, la présidente lance un appel, mais fait surtout le constat de la piètre situation syndicale:

Force nous est d’admettre que le gouvernement par ses attaques et ses stratégies lors de la dernière ronde de la soi-disant négociation a fortement déstabilisé le mouvement syndical et que maintenant il ne chôme pas pour exploiter cette lassitude, cet affaiblissement des syndiqué-e-s et des assemblées générales. Pendant que les syndicats autant du privé que du public se questionnent sur la forme de syndicalisme à exercer, le gouvernement agit et nous force à réagir. Comment allons-nous réagir[11]?

Denis Choinière est secrétaire général de cet exécutif:

«Je suis arrivé à l’exécutif en 1983, après les lois spéciales 70, 105 et 111 et les grèves illégales. Ces lois spéciales s’appliquent à tous, y compris le privé. La loi 111 fut finalement déclarée inconstitutionnelle en 1999-2000, parce que non traduite en anglais. Des syndicats anglophones de la FNEEQ avaient intenté ce recours, ce qui avait bien embêté la CSN.»[12]

Pierre Patry, qui siège à l’exécutif de la Fédération de 1989 à 1993 puis de 1995 à 2004, est alors un tout nouveau membre de la FNEEQ:

« Arrivé dans l’enseignement collégial une année après le décret de 1982, je découvre des syndiqué-es très démoralisés, les assemblées générales peu courues, faibles. Les membres sont démobilisés, ont de la difficulté à faire ne serait-ce que de petites actions. Je suis devenu membre de l’exécutif du syndicat du Cégep de Saint-Félicien en 1984 à la faveur de la démission de l’exécutif au complet. Le conseil syndical est alors devenu l’exécutif. J’ai participé à mes premières instances fédérales en 1985-1986. L’atmosphère est tendue, les votes serrés. Beaucoup de syndicats n’avaient même pas d’exécutif.[13]»

On trouve à cette époque d’autres raisons au mécontentement qui mènera plus tard aux désaffiliations. Denis Choinière:

Roger Valois, ouvrier métallurgiste et président du Conseil Central de Sorel, s’adresse aux états généraux de la Confédération sur la loi 111 le 13 mars 1983.

« Beaucoup de syndicats n’ont pas senti que la CSN les a défendus correctement face à la loi 111. Ils pensent et disent que si l’organisation n’avait regroupé que des profs, ils auraient été mieux défendus et auraient obtenu de meilleures conditions de travail. Beaucoup de critiques contre le mouvement: pourquoi n’y a-t-il pas eu de grève générale illimitée pour soutenir les profs? Un autre facteur qui explique les désaffiliations de la fin des années 1980[14]. »

L’entreDeux

La lutte aux décrets est engagée

Cette rentrée scolaire n’est certainement pas une des plus gaies de notre vie syndicale. Dans les cégeps, il s’agit de la deuxième année de décrets avec une deuxième augmentation de tâche, un salaire de 80 % pour les MED, etc., et les premières applications du Règlement du régime pédagogique au collégial (politiques institutionnelles d’évaluation, refontes de programmes...), etc. ; les universités font face à des coupures de plus en plus dramatiques et les collèges privés doivent se débrouiller avec les effets à la baisse dus à la situation dans le secteur public[15].

Le gouvernement impose une réforme du régime de négociation dans le secteur public (loi 37) en 1985. Il propose dans cette réforme la fin de la négociation de la rémunération, qui serait dorénavant fixée par un mécanisme de comparaison des salaires des secteurs public et privé, réalisé par l’Institut de recherche sur la rémunération, une création gouvernementale. De même, le droit de grève est pratiquement aboli. Il est accordé pour la négociation des salaires la première année, mais les deux années subséquentes seront décrétées. Pourquoi se battre pour des salaires la première année de la convention alors que le gouvernement a le loisir de décréter les conditions de travail pour les deux années suivantes? Il met également en place le Conseil des services essentiels, plus orienté vers le secteur de la santé.

[À la FNEEQ] Des sujets majeurs comme l’organisation du travail, les mouvements de personnel et les droits syndicaux deviendraient l’objet d’une négociation locale. Et comme par hasard, toute matière de négociation locale serait soustraite à l’exercice du droit de grève. Aussi bien le dire clairement, l’avant-projet de loi c’est l’abolition du droit de grève dans le secteur public[16].

La négociation de 1986

C’est dans cette atmosphère polluée qu’arrive la négociation de 1986. Le mandat de l’équipe de négociation est clair : il faut redynamiser les assemblées générales si l’on veut effacer l’affront de 1982 et en arriver à une convention négociée. Mais la négociation ne sera pas facile. Certes, une convention collective est signée, mais selon le bilan de la FNEEQ, il s’en dégage un mécontentement et de la méfiance qui s’accumulent depuis 1979.

Malgré une perspective de règlement à l’automne, les divisions manifestes à la Fédération amènent des mésententes sur les priorités de négociation: les salaires pour les uns, la tâche pour les autres. Les tentatives de rapprochement ont peu de succès. Les débats sont aussi houleux autour de l’accès à l’égalité. Les premiers moyens d’action sont peu suivis chez les enseignantes et les enseignants. Même l’entente concernant l’Annexe A, la négociation locale, pose problème. Malgré une forte majorité, des syndicats refusent la décision du secteur.

Finalement, un sprint de négociation a lieu à l’automne et aboutit à une entente de principe à la fois sur les questions salariales à la table centrale et sur les parties normatives à la table sectorielle. L’atelier sectoriel, les 42, refuse, par un vote très serré, de recommander l’entente aux assemblées générales, lesquelles refusent de s’engager plus loin dans l’action. Le rejet de la proposition des 42 de refuser l’entente de principe par une majorité d’assemblées générales est considéré comme une acceptation de cette entente.

Les négociations se poursuivent sur les textes et la Fédération des cégeps signe enfin la convention collective le 12 juin. Il aura fallu au moins 45 réunions des responsables à la négociation (RLN) et 18 ateliers sectoriels; la ronde de négociation aura duré en tout deux ans et demi.

Malgré toutes les tentatives de la partie patronale pour faire éclater le cadre unitaire de négociation, l’accord en fin de course est de conserver le même texte pour les clauses normatives et de négocier les questions salariales à la table centrale. Cela fonctionne encore ainsi jusqu’à maintenant. On n’ouvre la négociation sur l’une ou l’autre des clauses normatives qu’à la demande d’une des deux parties.

Des enseignantes et enseignants de cégep, dont Flavie Achard et Jean­-Claude St­onge, lors d’une occupation du ministère de l’éducation en mai 1985.

Dans les universités

L’enseignement universitaire se précarise de plus en plus

Les universités québécoises ont toujours recours massivement au temps partiel. Les universités au Québec embauchent au moins 6000 chargé(e)s de cours par année: ceci signifie qu’une grande partie (près de 50 %) de l’enseignement universitaire est réservée à des « temps partiels ». Par comparaison, le secteur tertiaire au Québec embauche 25 % de « temps partiel » et l’ensemble de l’économie québécoise y recourt dans une proportion de 11 %. À l’université du Québec à Montréal, les chargé(e)s de cours sont syndiqués et en sont à leur troisième négociation; le SCCUQ est pour l’instant le seul syndicat de « temps partiel » dans l’enseignement universitaire à avoir une convention collective négociée. Au cours de la dernière année, plus de 1000 personnes différentes ont signé un contrat comme chargé(e) de cours: la proportion des femmes y atteint 30% et l’âge moyen de l’ensemble, 36 ans[17].

En 1987, des conflits marquent le renouvèlement des conventions collectives des chargées et chargés de cours des universités, notamment une grève à l’UQAM qui dure sept semaines. Les négociations entre le SCCUQ et l’UQAM se déroulent autour de deux axes majeurs: l’équité salariale avec les professeurs réguliers et l’obtention d’un programme de perfectionnement dans le but de favoriser la recherche et d’améliorer la qualité de l’enseignement des chargées et chargés de cours. Une loi spéciale votée par le gouvernement Bourassa met un terme à la grève.

Une requête en accréditation est déposée pour les chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Chicoutimi, au nombre de 225. Ils signent leur première convention fin 1984. Ils renégocieront en 1988 une entente prévoyant les mêmes conditions de salaire et de perfectionnement qu’à Montréal et Rimouski. En 1986, après sept années de lutte, le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal est accrédité. En 1988, les chargées et chargés de cours de l’Université Laval ont gain de cause dans leur négociation après sept mois d’affrontement.

Dans le secteur privé

Le regroupement des établissements privés, dans un mémoire présenté au Conseil supérieur de l’éducation en avril 1984, dénonce le piètre état des conditions de travail dans leur secteur: augmentation continuelle de la tâche, diminutions salariales, menaces constantes de fermeture et de pertes d’emploi. Les enseignantes et les enseignants ont l’impression que les directions s’intéressent plus à leur image pour fins de recrutement d’étudiantes et d’étudiants qu’à la qualité de l’enseignement[18].

Piquetage de chargées et chargés de cours devant les portes du pavillon Judith­-Jasmin de l’UQAM lors de la grève de 1987.

Les syndicats du secteur privé rappellent qu’ils ne sont pas quantité négligeable dans le monde de l’éducation au Québec. L’enseignement privé y compte 135 maisons d’enseignement, dont 30 sont syndiquées. Elles forment plus de 90 000 étudiantes et étudiants. Le taux de syndicalisation de leur personnel enseignant est de 29,4 %[19]. La quasi-vingtaine de syndicats membres de la FNEEQ demande à être incluse dans les négociations des secteurs public et parapublic, mais sa demande est de nouveau refusée.

Les Désaffiliations

Les premiers mois de 1988 voient 13 syndicats de cégep quitter la Fédération et se désaffilier de la CSN : André-Laurendeau, Campus Héritage, Dawson, Enseignement maritime, Gaspésie, Jonquière, Lionel-Groulx, Rimouski, Rivière-du-Loup, Rosemont, Sorel-Tracy, Valleyfield et Vanier. Le Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ) est aussi en démarche de quitter la Fédération, ce qu’il fera quelque temps plus tard. Un syndicat du privé est également parti.

Le recours aux lois spéciales

Il serait difficile de parler de l’histoire de la FNEEQ, dont le mandat est de négocier des conventions collectives pour ses membres, sans aborder la question des lois spéciales décrétant les conditions de travail, imposant des pénalités, interdisant la grève ou forçant le retour au travail.

Les lois spéciales font leur apparition dans l’arsenal juridique du gouvernement dès la syndicalisation en masse de ses employées et employés au milieu des années 1960. Comme si les législateurs n’avaient pas compris que les syndicats allaient utiliser le droit de grève qu’on leur avait accordé.

Le Québec est, pour ainsi dire, à l’avant-garde sur cette question. Entre octobre 1967 et novembre 1972, les sept lois spéciales concernant des conflits de travail au Canada sont toutes édictées au Québec:

À l’exception de celle de 1969, qui met un terme à la grève illégale des policiers et des pompiers de Montréal, ces lois québécoises visent toutes à mettre fin à des grèves légales, c’est-à-dire déclenchées en conformité avec les dispositions du Code du travail. Ces lois susciteront la colère du mouvement syndical et contribueront fortement à sa radicalisation dans les années 1970[20].

Le SPEQ est le premier syndicat à gouter à la médecine législative dès 1966. Douze de ses membres et leur conseiller syndical sont condamnés à 20 jours de prison pour non-respect de l’injonction de retour au travail. Sur sa lancée, le gouvernement décrète les conditions salariales pour les enseignantes et enseignants du primaire et du secondaire. La CIC, qui deviendra bientôt la CEQ, déclenche une grève en novembre 1966. Cette grève ne connait pas le succès espéré et le gouvernement impose un règlement avec la loi 25.

Une nouvelle loi spéciale, adoptée quelques mois plus tard pour mettre fin à une grève d’un mois des 6300 personnes employées de la Commission de transport de Montréal, comporte la particularité d’imposer pour la première fois des dispositions pénales allant bien au-delà de celles prévues au Code du travail: amendes quotidiennes pour les grévistes, les élus et leur syndicat ne respectant pas la loi, peines d’emprisonnement et révocation de l’accréditation syndicale pour une année si plus de 30 % des membres ne se conforment pas à la loi, mettant ainsi fin aux conventions collectives en vigueur[21].

De 1965 à 1975, les lois spéciales adoptées visent essentiellement à décréter les conditions de travail, à suspendre le droit de grève des salariées et des salariés et à imposer de lourdes amendes à ceux qui refuseraient de s’y conformer[22].

Puis, en 1976, deux lois successives, la loi 61 (Loi concernant les services de santé dans certains établissements) et la loi 23 (Loi concernant le maintien des services dans le domaine de l’éducation), deviennent plus répressives et font école avec une présomption de culpabilité pour les grévistes, la possibilité de mettre fin temporairement au précompte syndical et le bannissement d’une fonction syndicale pour deux ans des militants syndicaux qui ont contrevenu à la loi.

Au début des années 1980, le Parti québécois, qui se dit favorable aux travailleuses et travailleurs, adopte l’une des pires lois spéciales de l’histoire du Québec, la loi 111.

Après avoir adopté par décret à la fin de l’automne 1982 les conditions de travail des employées et des employés des secteurs public et parapublic, le gouvernement de René Lévesque, sentant l’imminence d’une grève générale, martèle en janvier 1983 l’importance de préserver les services à la population. Au même moment, il tente de convaincre le Front commun syndical d’accepter les nouvelles conditions de travail décrétées en y apportant des modifications.

Après le rejet par les membres de cette dernière offre, le gouvernement change de stratégie lors du déclenchement d’une grève rotative du 26 au 31 janvier 1983. La rencontre du Conseil des ministres du 26 janvier est décisive. Selon le compte-rendu de la rencontre, les ministres trouvent que les « revendications syndicales sont exagérées » et que les « syndicats sont dirigés par des fanatiques ». Jacques Parizeau, alors ministre de l’Économie, affirme même: « Cette grève constitue un précédent au Québec en ce qu’elle est à la fois générale, illimitée et illégale. Une loi spéciale de retour au travail ne doit pas rater son effet. En cas d’échec, il ne restera pas de solution de rechange autre qu’une élection générale. La loi doit donc être assez sévère[23]. » Sévère, c’est précisément ce qu’est la loi 111 qui est annoncée par la suite[24]. Les pénalités sont de taille. Cette loi reprend les pénalités des lois antérieures en y ajoutant des menaces aux individus : perte de trois ans d’ancienneté par jour de grève illégale, autorisation de modifier par décret les règles de congédiement, des amendes sévères et la suspension des protections accordées par la charte des droits et libertés des personnes.

Pour compléter le propos, nous reprenons ici une recension des lois spéciales dans les secteurs public et parapublic tels qu’établis par la FNEEQ en 2015[25]:

Loi 25 (1967) – Loi assurant le droit de l’enfant à l’éducation et instituant un nouveau régime de convention collective dans le secteur scolaire
Contexte: Grève variant de 6 à 26 jours selon les établisse­ments scolaires.
Particularités: Suspension du droit de grève. Centralisation des négociations futures.

Loi 19 (1972) – Loi assurant la reprise des services dans le secteur public
Contexte: Grève en front commun de 11 jours pour environ 210000 salariés. Certains grévistes (hôpitaux et Hydro-Québec) défient une injonction ordonnant le retour au travail. Cette grève mène à l’emprisonnement des présidents de la CSN, de la FTQ et de la CEQ.
Particularité: Suspension du droit de grève.

Loi 61 (1976) – Loi concernant les services de santé dans certains établissements
Contexte: Grève tournante des infirmières et des infirmiers d’une durée de 37 jours dans plus d’une trentaine d’hôpitaux. Certains grévistes défient une injonction leur ordonnant d’assurer certains services essentiels.
Particularités: Présomption de culpabilité pour les salarié­es qui ne retournent pas au travail. Permet la cessation du précompte syndical. Les représentantes et les représentants syndicaux qui ne respectent pas la loi peuvent se voir interdire l’accès à une fonction syndicale pour une durée de deux ans. Finalement, le paiement rétroactif des salaires peut être diminué de 10 % par jour d’absence.

Loi 23 (1976) – Loi concernant le maintien des services dans le domaine de l’éducation et abrogeant une disposition législative
Contexte : Grève tournante de huit jours dans les collèges et les commissions scolaires. Certains syndicats défient la loi pendant deux jours, ce qui mène à des poursuites totalisant 50 millions de dollars.
Particularités: Suspension du droit de grève. Présomption de culpabilité pour les salarié­es qui ne retournent pas au travail. Permet la cessation du précompte syndical.

Loi 62 (1979) – Loi sur les propositions aux salariés des secteurs de l’éducation, des affaires sociales et de la fonction publique
Contexte : Grève d’une journée déclenchée par certains syndicats du front commun. Certains défient la loi pour un maxi­mum de deux jours.
Particularités : Suspension du droit de grève. les syndicats ont l’obligation de présenter les propositions gouvernementales à leurs membres et de procéder à un vote secret.

Loi 113 (1980) – Loi sur certains différends entre des enseignants et des commissions scolaires
Contexte : Entre 34 et 55 jours de grève au sein de huit com­ missions scolaires.
Particularités : Suspension du droit de grève. possibilité de mettre fin au précompte syndical.

Loi 111 (1983) – Loi assurant la reprise des services dans les collèges et les écoles du secteur public
Contexte : Un an avant l’échéance des conventions collectives, le gouvernement fixe par décret les conventions collectives par les lois 68, 70 et 105. Grève illégale de 23 jours dans les secteurs primaire et secondaire et de 24 jours dans le réseau collégial. La quasi­totalité des syndicats défie la loi pendant deux jours.
Particularités : Perte de trois ans d’ancienneté par jour de grève. Possibilité de congédier les enseignantes et les enseignants qui refusent de retourner au travail. Double pénalité salariale pour chaque jour de grève. Interdiction de manifester sur les lieux de travail. Cessation du précompte syndical pour une période de 6 mois pour chaque jour d’infraction. Présomption de culpabilité. Suspension de la charte des droits et libertés. La loi 111 est dénoncée par l’organisation internationale du travail.

Loi 160 (1986) – Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux contexte : Deux jours de grève illégale dans les établissements de la santé et des services sociaux.
Particularités : Pour assurer le maintien des services essentiels, la loi rend possible la modification par décret des conditions d’embauche et des dispositions relatives à l’organisation du travail. Possibilité de mettre fin au précompte syndical. Perte d’un an d’ancienneté pour chaque jour de grève illégale. Responsabilité civile des syndicats dans le cas où des préjudices seraient causés par le non-respect de la loi.

Loi 72 (1999) – Loi concernant la prestation des services de soins infirmiers et des services pharmaceutiques
Contexte : Grève illégale de 23 jours de la fédération des infir­mières et des infirmiers du Québec (FIIQ). Certains syndicats continuent la grève jusqu’à 16 jours après l’adoption de la loi.
Particularités : Obligation pour la FIIQ de recommander la fin de la grève à ses membres. Pénalité équivalente à un jour de salaire pour les représentantes et les représentants syndicaux libérés si leur accréditation transgresse la loi.

Loi 43 (2005) – Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public
Contexte : Grève légale d’une journée et demie au prin­temps 2005 et quatre jours de grève rotative (CSN et FTQ) à l’automne 2005.
Particularités : Suspension du droit de grève. Double pénalité pour chaque jour de grève. Suspension du précompte syndical. Coupe des libérations syndicales pendant 12 semaines pour chaque jour de grève. Le Bureau international du travail (2007) et la commission des relations du travail du Québec (2012) ont dénoncé le caractère excessif de la loi 43.

Loi 12 (2012) – Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau post­ secondaire
Contexte : Grève de près de quatre mois des étudiantes et des étudiants des réseaux collégial et universitaire.
Particularités : Suspension des sessions scolaires jusqu’au mois d’aout 2012. Pour assurer la reprise des cours, la loi prévoit plusieurs dispositions et des amendes en cas de déso­béissance. De plus, la loi encadre toutes les manifestations de plus de 50 personnes. Possibilité pour les établissements d’enseignement de retenir les cotisations prélevées par les associations étudiantes.

Des structures en constante évolution

Au fil de son histoire, la FNEEQ a su adapter sa structure organisationnelle aux défis rencontrés. L’évolution de ses structures d’une période à l’autre jusqu’à la dualité des regroupements et du conseil fédéral constitue une solution équilibrée et intéressante qui permet à la fois de nourrir le pôle de la négociation de convention collective et celui de l’orientation politique.

1969 -1972 : Les secteurs dominent

En 1969, les trois constituantes de la FNEQ, le Syndicat des professeurs de l’État du Québec (SPEQ), le Syndicat professionnel des enseignants (SPE) et les syndicats des enseignants de cégep, se sont donné un rôle central au sein de la Fédération. L’article 6 de sa constitution prévoit d’ailleurs que celles-ci « ont pleine autonomie quant à leur constitution et règlement[26]. » Si le Congrès annuel est l’autorité suprême de la Fédération, sa composition est basée sur les secteurs. Il s’agit de la même chose pour le bureau fédéral, aussi contrôlé par les secteurs, auxquels on ajoute les membres du conseil exécutif : présidence, trésorerie et secrétariat général et trois vice-présidences, lesquelles se trouvent à être les présidences de secteur. Chaque secteur est doté de sa propre structure: syndicats locaux, congrès, exécutif, etc. D’une certaine façon, la FNEQ prend plus la forme d’une confédération que d’une fédération. La vie syndicale est dynamique, « mais plutôt étanche en secteur[27]».

Dès juin 1971, le Congrès met sur pied un comité de réflexion sur les structures de la FNEQ afin, notamment, de donner « un plus grand pouvoir à la base.[28] » Pour plusieurs militantes et militants, les structures en place « ne prévoient pas et ne permettent pas la possibilité de contrôle des syndicats sur l’exécutif et le Bureau fédéral en cours d’année[29]. » De plus, le bricolage que constitue la FNEQ à sa naissance ne vient pas à bout des rivalités entre les secteurs, juge le comité: « la Fédération est née d’un difficile racolage d’autonomies qui, souvent encore, continuent de jalouser cette pouliche difficile à dompter[30]!» On peut également ajouter que l’affiliation de syndicats de professeures et professeurs d’université à cette structure contribue à la nécessité de la faire évoluer. Le comité juge que l’on doit présenter une fédération qui est plus qu’un regroupement de services (ou d’assurances) et se méfie qu’elle puisse pratiquer un syndicalisme d’affaires.

1972-1988 : une Fédération Centralisée

Les secteurs sont abolis au Congrès de février 1972. Le conseil fédéral devient l’autorité suprême de la Fédération et doit se réunir au moins trois fois par année. La représentation provient de chaque syndicat ou accréditation syndicale selon le nombre de cotisants. Dans un rapport de 1979, un comité vante les mérites du conseil fédéral ainsi créé :

Le conseil fédéral, structure éprouvée et rodée à la FNEQ, est un lieu où la démocratie doit pouvoir s’exercer de la façon la plus large possible. Cette démocratie se fonde sur les assemblées générales qui lui fournissent la seule base qui vaille. […] Il faut que les syndicats locaux voient le conseil fédéral comme leur instrument et s’y préparent en s’assurant d’avoir fait les débats aux instances locales[31].

Le bureau fédéral est maintenu et sa composition est déterminée périodiquement par le conseil fédéral. La constitution de 1972 prévoit toutefois que « les différentes catégories d’enseignement et les différentes régions […] sont représentées au Bureau fédéral[32]. » Le bureau fédéral est dit à représentation indirecte, n’offrant pas la chance à tous les syndicats de siéger à cette instance. Il est aussi présenté comme un exécutif élargi. Une proposition visant à permettre la représentation directe de chaque syndicat est défaite à l’automne 1981.

L’exécutif prend maintenant la forme d’un comité composé d’une présidence, du secrétariat général et d’une vice-présidence à l’information et à l’éducation. La proposition de 1972 est toutefois incomplète, comme en témoigne le rapport d’un comité de la constitution en novembre 1976 :

— Elle ne prévoit pas de définition de la fonction collective du comité exécutif; — Elle laisse se recouvrir fortement les fonctions et les responsabilités du président et celles du secrétaire général; — Elle laisse subsister inutilement de nombreuses ambiguïtés sur les responsabilités spécifiques de chacun[33].

À la suite du rapport de ce comité, le conseil fédéral d’avril 1977 corrige la constitution en ajoutant des responsabilités collectives au comité exécutif et en départageant plus clairement les responsabilités de chacun de ses membres.

L’autonomie des sections locales

Les militantes et les militants estiment, dans la réforme de 1972, que les syndicats pourront y trouver un contrôle direct sur les décisions. Cela entrainera par ailleurs « l’acquisition d’une accréditation locale des syndicats constituants[34]», notamment les sections locales des établissements d’enseignement privé regroupées dans le SPE. Cette transformation ne plait pas au SPEQ qui, en plus de critiquer l’issue du front commun de 1972, décide de se désaffilier de la FNEQ en juin 1972[35]. Au même moment, certains syndicats du secteur privé quittent aussi la Fédération.

S’il est exact que l’organisation ainsi définie met les syndicats au centre du processus décisionnel, elle a néanmoins pour effet de centraliser les négociations dans les instances fédérales : le bureau assume le contrôle direct de la négociation et le conseil traite des enjeux de négociation. Notons par ailleurs que des instances de concertation, entre autres pour les cégeps, sont mises en place (notamment les responsables locaux à la négociation (RLN), connus comme les 39-4041, selon le nombre de syndicats[36]). Il y a là une volonté claire des militantes et des militants de grouper toutes les négociations pour tous les syndicats de la Fédération[37].

Il appert toutefois qu’au cours des années 1980 le modèle de la Fédération centralisée connait des limites. D’abord, la place prépondérante des cégeps dans l’organisation tend à négliger les autres secteurs. Afin d’y pallier, une deuxième vice-présidence est ajoutée lors du conseil fédéral de juin 1981, une proposition rejetée une première fois en 1976. Cette démarche est le fruit des syndicats des établissements d’enseignement privé, lesquels « considéraient que la vie de la Fédération était trop orientée en fonction des cégeps[38]. » De plus, l’arrivée massive des syndicats de chargées et chargés de cours motive également la reconnaissance des réalités multiples de la Fédération.

C’est pourquoi on voit la naissance durant cette décennie des « ateliers » propres aux cégeps, au privé et aux universités à l’intérieur des sessions du conseil fédéral.

Dès 1984, la Fédération adopte des nouvelles règles pour le fonds de négociation, en y permettant l’accès à tous ses secteurs. Le conseil fédéral vote également périodiquement des libérations de militantes et de militants de chaque secteur, en soutien à la négociation.

En 1985, le conseil fédéral créé un comité de coordination des chargées et chargés de cours des universités. Selon Denis Choinière, « la séparation entre les questions de négociation et celles d’orientation politique est alors apparue clairement[39]. » Le ton était donné pour une révision supplémentaire de la constitution de la FNEEQ.

L’apparition des regroupements

C’est dans ce contexte que le conseil fédéral de juin 1987 demande au bureau fédéral de former un comité des statuts, règlements et structures en vue de faire des recommandations aux assemblées générales pour un retour au conseil fédéral de juin 1988. Le comité doit comprendre au moins une personne par groupe (privé, université, cégep)[40].

Après un rapport d’étape au conseil fédéral en novembre 1987, un projet de refonte majeure est présenté à la même instance en avril 1988 et adopté l’automne suivant après consultation des syndicats. Selon ce comité : « l’histoire de la fédération nous démontre que la FNEEQ est passée d’une extrême [sic] à l’autre en 1972 […] À trop vouloir abolir cette sectorialisation néfaste, nous sommes passés à l’autre extrême. À un point tel que les syndicats autres que ceux des cegeps ont été presque totalement ignorés. […] Il s’agit donc de trouver la juste médiane entre les deux extrêmes énoncées [sic] plus haut 16. » Le principal changement apporté par cette réforme est la constitution des regroupements et la renaissance du Congrès fédéral.

1988 à aujourd’hui: La force du regroupement

Le conseil fédéral de décembre 1988 adopte une réforme en profondeur des statuts et règlements de la FNEEQ et crée les regroupements, avec mandat « de favoriser la vie syndicale, la discussion et la solution de problèmes communs, la négociation et l’application de conventions collectives.[41]»

Le Congrès fédéral de juin 1989 suit avec les critères qui déterminent la constitution de ces regroupements : la similitude des conditions de travail et des conventions collectives, la similitude des négociations et des problèmes d’application de convention ainsi que le type d’établissement selon les regroupements existants à la FNEEQ[42].

Ainsi entrent en scène les trois regroupements de la FNEEQ: les enseignantes et enseignants des cégeps, celles et ceux d’établissements d’enseignement privé et des universités. Les nouveaux statuts et règlements donnent l’autonomie nécessaire aux regroupements pour adopter des règles de fonctionnement qui leur sont propres. Dès le Congrès de 1989, le regroupement cégep adopte ses premières règles de fonctionnement.

Le bureau fédéral est donc dépouillé de son rôle dans les négociations. Pour Denis Choinière, il s’agit d’un compromis historique: « Après un fonctionnement expérimental de quelques années, on a formalisé la réalité des regroupements dans de nouveaux statuts, mais en évitant de revenir à la situation d’avant 1972 où les secteurs avaient pleine autonomie. Il s’agit d’une situation mitoyenne: l’autonomie pour les négociations est acquise pour les regroupements, mais le budget reste fédéral et les orientations politiques aussi[43]. » Il ajoute : « Le rôle des élus à l’exécutif et au bureau fédéral est de voir avant tout à l’administration et à la direction politique de la fédération. Ils ne détiennent pas leur mandat de leur regroupement de provenance, mais des instances fédérales. Ainsi, on tient compte de deux réalités, celle des regroupements pour la négociation et celle de la Fédération pour la représentation publique et politique[44]. »

Le Congrès

La réforme réintroduit le Congrès comme instance suprême de la Fédération. Composé des délégations des syndicats et des membres du bureau fédéral, il se tient aux deux ans. La proportion de personnes déléguées au Congrès est proche de celle de l’ancien conseil fédéral.

Le Congrès concentre le pouvoir de définir les orientations politiques, d’élire les membres du comité exécutif, du bureau fédéral et des comités[45], de modifier les statuts et règlements et d’adopter le budget fédéral. Les motivations de ce changement sont moins documentées que celles relatives à la création des regroupements sinon un certain constat de la proximité avec la CSN[46].

Le conseil fédéral est maintenu, lequel doit se réunir au moins deux fois par année. Sa composition est plus restreinte que son prédécesseur, mais il conserve un large éventail de pouvoirs, pouvant combler une vacance au comité exécutif ou modifier le budget (par une majorité qualifiée des deux tiers des voix). Il ne peut cependant modifier les statuts et règlements.

Le bureau fédéral est maintenu. La représentation y est toujours indirecte. Ses membres sont élus par le Congrès, mais désignés par les regroupements, chaque regroupement y ayant un nombre de chaises correspondant au nombre de membres de chacun. Le regroupement cégep y maintient une représentation régionale[47]. Si les membres du bureau sont désignés par leur regroupement, ils doivent représenter leur regroupement, voir aux intérêts généraux de la Fédération et être sensibles aux réalités des autres regroupements[48].

Le comité exécutif est composé de la présidence, du secrétariat général et de deux vice-présidences.

Les statuts et règlements de 2019 sont sensiblement les mêmes que ceux de 1988. Quelques modifications ont été apportées au fil des congrès. Parmi les plus importantes, il y a la modification de la fréquence des réunions du Congrès, portée à trois ans lors du Congrès de 1997[49]. Cette modification est effectuée pour établir une concordance avec ceux de la CSN, adoptés au milieu de l’année 1995[50].

Une modification importante est apportée lors du Congrès de 2006 : l’inscription dans les statuts et règlements de la fonction de personne déléguée à la coordination des regroupements et la création du comité de coordination (composé du comité exécutif et des personnes déléguées à la coordination). La nouvelle coordination doit porter les préoccupations de son regroupement auprès de toutes les instances de la Fédération; seconder le membre du comité exécutif responsable de son regroupement et représenter le regroupement dans l’organisation de différentes activités de la Fédération[51].

Il faut néanmoins noter que la fonction de personne déléguée à la coordination existe depuis la fin des années 1980[52] sans avoir été codifiée dans les statuts. La croissance de la Fédération impose une lourde charge aux membres du comité exécutif ayant la responsabilité des regroupements. C’est ainsi que le regroupement cégep décide en décembre 1993 de créer cette fonction[53]. Claude Racine, alors membre du comité consultatif sur la tâche, devient le premier délégué à la coordination du regroupement cégep.

Lors du Congrès de 2012, une autre modification est apportée aux statuts et règlements en créant une troisième vice-présidence. Chacune des vice-présidences se voit alors confirmer la responsabilité d’un regroupement et doit être issue de « son» regroupement. Cette dernière transformation vient compléter le processus amorcé en 1988 en montrant le rôle central des regroupements comme illustration de l’identité professionnelle immédiate. Cependant, l’attachement de la Fédération à un syndicalisme industriel reste manifeste.

Le Congrès de 2012, enfin, formalise l’existence des comités fédéraux. Plusieurs comités existaient depuis longtemps, tel le comité école et société depuis près de 30 ans, mais leur constitution relevait uniquement du Congrès. Il existe maintenant neuf comités fédéraux à la FNEEQ qui couvrent des enjeux variés, de la santé et de la sécurité au travail à la diversité sexuelle en passant par les assurances et l’environnement. Cela démontre aussi l’attachement de la Fédération aux enjeux de société qui dépassent les enjeux immédiats des relations de travail.

Femmes enseignantes, toujours en lutte

Une reconnaissance tardive

Le Québec est la dernière province canadienne à adopter une loi rendant l’école obligatoire en mai 1943. Alors que l’école québécoise est encore sous l’emprise du clergé, on y compte bon nombre de femmes enseignantes, laïques ou religieuses, mais elles sont presque toutes confinées à l’enseignement primaire. À cette époque, la « vocation » pour l’enseignement ne mène pas les institutrices à une carrière bien enviable : conditions d’emploi médiocres, travail peu ou mal rémunéré, précarité, le tout sous domination masculine et religieuse. Du reste, jusque dans les années 1960, être femme entraine des sacrifices supplémentaires, puisque les maîtresses d’école doivent renoncer à leur carrière dès qu’elles se marient. Leur place étant, bien entendu, au foyer.

Depuis 50 ans, la situation a considérablement évolué. Tout d’abord, la Révolution tranquille a ouvert les portes des classes de l’enseignement supérieur aux filles. À titre d’exemple, dans le milieu collégial, on observe que le nombre d’étudiantes est en constante progression : alors qu’elles comptent pour 20 % des effectifs en 1967, elles passent à 49 % à peine dix ans plus tard et représentent aujourd’hui plus de 58 % de la population étudiante[54]. La proportion des enseignantes a suivi cette tendance, mais beaucoup moins rapidement. Jusqu’au milieu des années 1980, les femmes ne constituaient que le tiers du personnel enseignant des cégeps, alors qu’elles représentent aujourd’hui plus de 55 % du corps professoral[55].

Dans les documents d’archives de la FNEQ, les procès-verbaux des instances restent longtemps muets sur les questions des femmes dans l’enseignement. Il faut attendre le conseil fédéral de novembre 1977 pour voir apparaitre, pour la première fois, l’adoption d’une recommandation de mettre sur pied un comité de condition féminine, à l’instar de celui de la CSN, qui a été créé en 1974 pour « lutter activement contre les diverses formes d’oppression, les discriminations et les inégalités vécues par les femmes que ce soit au travail, dans la vie militante ou dans la société[56] ». Dans les faits, ce comité est quasi inactif durant cinq ans. C’est la récession économique du début des années 1980 qui ranime le projet, car la chute du marché de l’emploi et la flambée du taux de chômage menacent directement les femmes qui « vivent doublement la crise[57] » en raison de leur statut précaire (elles sont les premières mises à pied) et des pressions exercées pour qu’elles retournent au foyer (on les traite de « voleuses de job»).

Lors du conseil fédéral de juin 1982, un comité provisoire formé six mois plus tôt présente une « Étude sommaire de la situation des femmes à la FNEQ[58] » qui expose les conditions de travail inégalitaires des enseignantes à travers l’analyse des conventions collectives de tous les secteurs de la Fédération. Cette étude cible, par ailleurs, quatre revendications nationales majeures : l’implantation d’un réseau public de garderies, un programme d’actions positives dans les entreprises comprenant des mesures d’égalité, l’amélioration des droits parentaux et l’instauration de mesures pour contrer le harcèlement sexuel. En conséquence, les personnes déléguées au conseil fédéral adoptent la recommandation de créer un comité de condition féminine permanent composé de huit représentantes et doté d’un budget récurrent pour des libérations.

Le comité de condition féminine est donc le second comité officiel de la Fédération, après la mise en place du comité école et société au conseil fédéral de juin 1975 (comité action-école-société). Dans la foulée de cette prise de conscience collective, la Fédération change aussi de nom: la Fédération nationale des enseignants québécois (FNEQ) devient la Fédération nationale des enseignants et des enseignantes du Québec (FNEEQ) en juin 1982. Un an plus tard, après le conseil fédéral de juin 1983, elle conserve le même acronyme, mais s’appelle désormais la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec.

La force du réseau

« S’trouver une job c’est ben dur, pis se marier c’est pas sûr[59] », pouvait-on lire dans un article du comité de condition féminine dans la publication FNEEQ Actualité en 1987. Le meilleur chemin pour assurer son avenir passe, à la Fédération comme ailleurs, par la militance et par la solidarité. Pendant les années 1980, des comités syndicaux de condition féminine locaux et nationaux naissent et se développent un peu partout au Québec. Un avis du Conseil supérieur de l’éducation, en juin 1984, permet d’en rappeler les objectifs communs: la création de ces comités semble vitale, puisque « la lutte des femmes à l’intérieur des syndicats est ghettoïsée, les hommes ne leur permettant d’aborder que les points classiques des congés de maternité et des garderies […] si les femmes veulent déborder sur d’autres questions (par exemple, les horaires, la santé et la sécurité au travail), on ne l’accepte pas. » Si l’amélioration concrète des conditions de travail des enseignantes est l’objectif à atteindre, le moyen privilégié pour y arriver repose d’abord sur le réseautage afin de « briser [l’] isolement, développer de plus en plus des liens entre les femmes de la Fédération d’abord et être les plus nombreuses possibles à défendre les dossiers de la condition des femmes[60]».

Pleinement conscientes de leur statut minoritaire à l’intérieur de la Fédération, les femmes ont construit un réseau de répondantes dans chaque syndicat qui se réunissent deux fois par année en « sessions », lors desquelles les femmes ciblent les enjeux qui les préoccupent et proposent des solutions. Les positions prises par les militantes sont ensuite défendues dans toutes les instances de la Fédération, incluant le comité de négociation des cégeps, où l’un des postes est alors réservé à une négociatrice qui est nommée par une session femmes. Les dossiers avancent.

Jusqu’au début des années 2000, les actions des femmes de la FNEEQ ciblent trois sujets : l’accès à l’égalité, le harcèlement sexuel et la pédagogie féministe. Le texte suivant, tiré de FNEEQ-Actualité[61], en résume les objectifs.

Devant nous, l'an 2000 - Les actions prioritaires du comité

Accès à l'égalité

Pour le collégial, obtenir un programme national d’accès à l’égalité conventionné et complété localement afin de répondre à la réalité du milieu. Il est urgent que les femmes soient présentes à tous les niveaux d’enseignement. Pour le secteur universitaire et privé, chaque établissement doit mettre sur pied son propre programme d’accès à l’égalité.

Harcèlement sexuel

L’implantation d’une politique contre le harcèlement sexuel partout. Si le milieu est exempt de harcèlement, les conditions de travail s’améliorent. Travailler en paix, étudier en paix, vivre en paix.

Pédagogie féministe

Programme d’accès à l’égalité pour les étudiantes qui inclut:

— la valorisation des ghettos féminins (entre autres, par l’équité salariale); — la présence de modèles des deux sexes pour les étudiantes et les étudiants (entre autres, par l’accès à l’égalité); — recherche de méthodes pédagogiques qui respectent nos objectifs féministes.

Au tournant des années 2000, on peut constater que les gains réalisés par les femmes de la FNEEQ sont tangibles. Les syndicats ont été à l’avant-garde de la question de l’accès à l’égalité en emploi : dès 1983, la convention collective des enseignantes et des enseignants des cégeps prévoit un comité national qui se penche sur l’implantation d’un programme d’accès à l’égalité en emploi, alors qu’il faut attendre 2001 avant que cette pratique ne soit instituée par le gouvernement du Québec. Quant au harcèlement sexuel, dès le printemps 1987, le conseil fédéral adopte une politique type qu’il recommande aux assemblées générales locales d’adopter. La FNEEQ est la première fédération à entreprendre une telle démarche à la CSN. Pour sa part, le gouvernement modifie la Loi sur les normes du travail en 2003 et l’entrée en vigueur des dispositions concernant le harcèlement psychologique au travail (incluant le harcèlement sexuel) se fera l’année suivante.

Les femmes et le pouvoir

C’est à partir du Congrès de l’an 2000 que les intérêts du comité femmes de la FNEEQ se centrent davantage vers la conciliation famille-travail, les conditions de militance et la présence des militantes dans les structures syndicales. En 2006, le comité a documenté la place qu’occupent les femmes dans les différents « lieux de pouvoir » de la Fédération : les comités exécutifs, les instances fédérales, le bureau fédéral et les comités exécutifs locaux, par regroupement (cégep, privé, université). Malgré l’immense avancée des femmes à l’intérieur de la profession enseignante et dans la société québécoise au cours des trente dernières années, le portrait statistique indique qu’elles sont toujours sous-représentées dans les instances et dans les syndicats de la FNEEQ. Alors qu’elles comptent désormais pour 50 % des membres, le pourcentage de femmes élues ou déléguées officielles oscille entre 30 et 40 %.

Le comité femmes a abordé de front, en 2008, cette réalité du pouvoir sous un angle féministe, en privilégiant l’organisation d’un colloque qui s’est tenu à la fin du mois de mai dans le cadre du conseil fédéral devant 200 personnes déléguées et invitées de la CSN. Des femmes ayant occupé divers lieux de pouvoir (politique, juridique, associatif et syndical) sont venues témoigner, à commencer par la présidente de la centrale, Claudette Carbonneau, la première femme à la tête de la CSN depuis sa fondation en 1921. Le colloque « Femmes et pouvoir » a donc permis de mettre en évidence l’écart de représentativité au sein des instances fédérales. La parité reste un objectif à atteindre, puisque aujourd’hui, 60 % des membres de la FNEEQ sont des femmes, alors que leur poids politique stagne autour de 40 %.

Les violences à caractère sexuel

Les dix dernières années ont été fortement marquées par la question des violences à caractère sexuel. La dénonciation médiatisée des inconduites et des violences a fait les manchettes de l’actualité à répétition. Sur les réseaux sociaux, des milliers de Québécoises et de Québécois ont pris la parole par l’entremise des mots-clics

  1. AgressionNonDénoncée (#BeenRapedNeverReported), #MoiAussi (#MeToo) et #BalanceTonPorc.

Les sceptiques qui croyaient le milieu de l’enseignement supérieur exempt de ces violences ont été détrompés par le dévoilement en janvier 2017 du rapport de recherche ESSIMU[62] (Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire), sous la direction de Manon Bergeron de l’UQAM, qui présente des données alarmantes sur la vie universitaire : près de 37 % des répondantes et des répondants ont subi une forme de violence sexuelle depuis leur arrivée à l’université. Les violences à caractère sexuel ne sont pas des faits isolés, elles se manifestent potentiellement au quotidien dans tous les milieux de l’enseignement supérieur au Québec. Le nombre et la gravité de ces cas ont mis en évidence des lacunes importantes dans les collèges et les universités quant au climat de travail et d’études, quant à la culture patriarcale dominante, quant à la sécurité de leur milieu et à la gestion de ces situations.

Face à l’ampleur grandissante de cette prise de conscience, la FNEEQ n’est pas restée indifférente. Les dossiers à caractère sexuel ont fait l’objet de nombreuses discussions au sein de ses instances. Le comité école et société, en collaboration avec le comité femmes et le comité orientations et identités sexuelles, a mené une réflexion sur le sujet. La Fédération a aussi joué un rôle précurseur en prenant officiellement position avec ses syndicats, au conseil fédéral de décembre 2016, pour proscrire les relations intimes entre le personnel enseignant et les étudiantes et les étudiants. Rappelons aussi l’appui donné à la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, qui a déposé en décembre 2017 un projet de loi pour contrer les violences à caractère sexuel. La FNEEQ a alors salué cette démarche nécessaire dans l’espoir que cet exercice cerne le problème sans complaisance et qu’il y apporte de véritables solutions.

Regarder en avant

En juin 1984, alors qu’il examinait la place des femmes enseignantes dans le milieu syndical, le Conseil supérieur de l’éducation formulait la réflexion suivante: « les comités de la condition féminine constituent un palliatif : à long terme, ils disparaîtront, une fois que le mouvement syndical aura pris en charge les droits des femmes. Il est cependant évident que cette étape ne pourra être franchie qu’avec l’accession, en grand nombre, de femmes dans les structures de représentations syndicales[63]. » Loin de s’être entièrement réalisée, cette prédiction quelque peu « optimiste » montre, avec le recul, qu’il reste encore des luttes importantes à mener pour que les femmes prennent la place qui leur revient dans le milieu syndical comme ailleurs.

La négociation coordonnée

Cinq syndicats de chargées et chargés de cours d’universités québécoises négocient le renouvèlement de leur convention collective en 1987. Quatre d’entre eux doivent recourir à la grève pour faire valoir leur pouvoir au sein de ce rapport de force.

À l’UQAM, une loi spéciale répressive met fin à une grève de sept semaines. À l’Université de Montréal, une grève d’une semaine, la première grève d’enseignants et d’enseignantes dans l’histoire de l’institution, aboutit à la signature de leur première convention collective. À l’Université Laval, le conflit dure vingt jours et se termine aussi par la signature d’une première convention. Le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Chicoutimi (SCCC UQAC) est le seul à ne pas appliquer un mandat de grève.

La grève des Cœurs et la Loi 48

« Une grève différente, en rupture avec certaines pratiques syndicales traditionnelles dans un contexte de démobilisation généralisée des forces syndicales», peut-on lire dans le SCCUQ@ spécial 25e anniversaire du SCCUQ. Cette grève porte le nom de « grève des cœurs» et est festive, imaginative et colorée. Les principales revendications tournent autour de deux axes, soit l’obtention d’un véritable programme de perfectionnement et un réajustement salarial. Cette deuxième revendication est commune à plusieurs syndicats. En 1983, le gouvernement impose unilatéralement une coupe salariale de 20 %, qui n’épargne pas les enseignants universitaires. L’augmentation salariale pour un chargé de cours se situe autour de 18 % depuis 1981, alors que le coût de la vie a grimpé de 35 %.

La loi 48 force le retour au travail des chargées et chargés de cours le 11 mai au matin. Le 10 mai, les membres réunis en assemblée générale renoncent à défier la loi. La présidente de la FNEEQ, Rose Pellerin, en profite pour exprimer la fierté de la FNEEQ face à la lutte des chargées et chargés de cours. Les membres du syndicat expriment leur désaccord dans un télégramme envoyé aux députés de l’Assemblée nationale : « Félicitations pour avoir voté une loi marteau visant à assommer des précaires. Votre courage est sans bornes. Nous vous en saurons gré longtemps.» Les négociations se poursuivent pour atténuer les effets pernicieux de la loi et mènent à la signature de deux lettres d’entente, dont une prévoit la rémunération suivante pour une charge de cours : 3300 $ pour 1987, 3500 $ pour janvier à avril 1988 et 3650 $ à compter du 1er mai 1988. En février, le SCCCUM a obtenu 3432,75 $ par charge à compter du 1er septembre 1988.

Regroupement et négociation coordonnée

Une plateforme commune est déposée dans le cadre d’un conseil fédéral de la FNEEQ en mars 1987. Elle porte sur quatre revendications ralliant les chargées et chargés de cours des différentes universités : la reconnaissance des droits syndicaux, une équité avec le corps professoral pour la rémunération et les avantages sociaux, l’attribution des charges de cours selon l’ancienneté et un réel soutien au perfectionnement.

La FNEEQ procède en 1987 à une refonte de ses structures accordant plus de place aux syndicats de chargées et chargés de cours. C’est la naissance des regroupements cégep, privé et université. Ce dernier regroupe les chargées et chargés de cours de l’UQAM, de l’UQAR, de l’UQAC, de l’Université de Montréal, de l’Université Laval ainsi que les maîtres de français langue seconde de cette même institution.

Les cinq syndicats de chargées et chargés de cours membres du regroupement s’entendent en février 1989 pour coordonner leurs actions dans le cadre de revendications communes et d’actions concertées. Ils adoptent le Protocole de Lanoraie, qui prévoit: des rapports de solidarité entre les syndicats dans le respect des autonomies locales; l’identification d’une série d’objets communs de revendications comprenant un « plancher», soit un minimum requis pour chacun des objets; la mise en place d’un fonds intersyndical de solidarité en vue d’une consolidation des syndicats aux ressources limitées; et le lancement d’une campagne d’information et la production d’un journal intersyndical. Ils se préparent ainsi à la ronde de négociations regroupées de 1989-1990.

  1. « Bilan des « négociations» fNeeQ 1982-1983 », Info-FNEEQ, vol. 2, no 3, mars 1984, p. 6.
  2. Nouveau Pouvoir, vol. 10, no 2, novembre 1980, p. 1.
  3. « Entrevue avec Francine Lalonde », Nouveau Pouvoir, vol. 11, no 2, novembre 1981, p. 2.
  4. « Il faut refaire l’unité », Info-FNEEQ, mai 1983, p. 1.
  5. Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Flavie Achard le 5 juin 2019
  6. Info-Négo, bulletin no 12, 13 décembre 1982, p. 2
  7. « Les boss et le gouvernement se paient tout un décret ! », Info- Négo, bulletin no 12, 13 décembre 1982, p. 1.
  8. Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Jean Trudelle le 31 mai 2019.
  9. Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Flavie Achard le 5 juin 2019.
  10. Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Pierre Léonard, 4 juin 2019.
  11. « Reprendre l’offensive », Info-FNEEQ, vol. 1, no 2, décembre 1983, p. 2.
  12. Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 29 avril 2019.
  13. Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Pierre Patry le 27 mai 2019.
  14. Entrevue accordée à Jacques Gauthier par Denis Choinière le 29 avril 2019.
  15. « Mot de l’exécutif », Info-FNEEQ, vol.1, no 1, septembre 1984, p. 2.
  16. Info-FNEEQ, vol. 2, no 6, 24 janvier 1985.
  17. « les universités québécoises ont toujours recours massivement au temps partiel», Info-FNEEQ, mai 1983, p. 4.
  18. « Mémoire sur la condition enseignante des « favorisés» du secteur privé », Info-FNEEQ, vol. 2, no 14, avril 1984.
  19. Nouveau Pouvoir, janvier 1982, p. 1.
  20. Martin Petitclerc et Martin Robert, Grève et paix, une histoire des lois spéciales au Québec, lux éditeur, 2018, p. 49
  21. Id., p. 54.
  22. Comité de stratégie de la FNEEQ, « Historique des lois spéciales», annexe au document « organisation de la résistance à une éventuelle loi spéciale, Négociation 2015 », 26 octobre 2015, p. 4.
  23. Extraits du compte rendu du conseil des ministres du 26 janvier 1983, cité par Martin Robert lors d’une conférence organisée par le collectif printemps 2015, le 2 décembre 2014.
  24. Comité de stratégie de la FNEEQ, op. cit., 26 octobre 2015, p. 4.
  25. Ibid., p. 4.Ibid., p. 4.
  26. Procès-verbal de l’assemblée de fondation d’une fédération des enseignants à la CSN, 19-20- 21 septembre 1969.
  27. « Panorama historique », FNEEQ Actualité, vol. 9, no 3, mai 1995.
  28. « Une longue marche », Nouveau pouvoir, vol. 3, no 1, 7 février 1972.
  29. conseil fédéral, « la FNEQ: rappel historique », 23 au 28 février 1979. [rapport du bureau fédéral] cité dans comité des statuts, règlements et structures FNEEQ, « un peu d’histoire », 14 au 17 avril 1988. [rapport présenté au conseil fédéral].
  30. Ibid
  31. Ibid
  32. Procès-verbal, congrès FNEEQ, 17-18-19- 20 février 1972.
  33. Conseil fédéral des 26 au 28 novembre 1976. [rapport du comité de la constitution de la FNEQ].
  34. la FNEQ : rappel historique », op. cit., note 4.
  35. Rappelons qu’à la même époque le SFPQ quitte la CSN comme plusieurs syndicats du privé qui formeront la CSD.
  36. Procès-verbal de la réunion des 14, 18 et 19 décembre 1984. Notez que le chiffre évolue en fonction du nombre de syndicats des cégeps.
  37. « Panorama historique », op. cit., note 2.
  38. « Quelques éléments de 1979 à nos jours… » cité dans comité des statuts, règlements et structures FNEEQ , « un peu d’histoire », op. cit., note 4.
  39. « Denis Choinière », FNEEQ Actualité, vol. 9, no 3, mai 1995, p. 29.
  40. « Rapport d’étape du comité sur les statuts, les règlements et les structures », conseil fédéral du 25 au 27 novembre 1987.
  41. procès-verbal, conseil fédéral FNEEQ, 1er au 4 décembre 1988.
  42. procès-verbal, congrès FNEEQ, juin 1989, p. 18.
  43. « Denis Choinière », op. cit., note 14.
  44. Ibid.
  45. les statuts et règlements de 1988 prévoient toutefois que les membres du comité femmes sont désignées par une « session femmes ».
  46. « rapport d’étape du comité sur les statuts, les règlements et les structures», op.cit., note 15, p. 106.
  47. regroupement cégep, procès-verbal, congrès FNEEQ, juin 1989, p. 2.
  48. procès-verbal, 21e congrès FNEEQ, juin 1991, annexe 4 « Amendements aux Statuts et règlements », p. 36 et 37.
  49. procès-verbal, 24e congrès FNEEQ, juin 1997.
  50. procès-verbal, 24e congrès FNEEQ, op. cit., note 24. [rapport sur les travaux amendements aux statuts et règlements].
  51. 27e congrès FNEEQ, juin 2006, p. 16. [rapport du comité des statuts et règlements].
  52. « les chargé-es de cours des universités: plus concerté-es que jamais», FNEEQ actualité, vol. 2, no 1, novembre 1988, p. 2.
  53. procès-verbal, réunion élargie du regroupement cégep, 4 décembre 1993, p. 1-2.
  54. Lucie Héon, Denis Savard et Thérèse Hamel (dir.), Les cégeps: une grande aventure collective québécoise, Québec, pul, 2008, p.100; Données du Spoc, année 2015-2016.
  55. Données du Spoc, année 2015-2016. un avis du conseil supérieur de l’éducation, daté de juin 1984, brosse un portrait de l’embauche des femmes en enseignement pour l’année 1981-82 : elles constituaient 99,2 % des effectifs d’enseignants au préscolaire, 88,7 % au primaire, 40,8 % au secondaire, 35,1 % au collégial et 16,1 % à l’université. conseil supérieur de l’éducation, La situation des femmes dans le système d’enseignement: une double perspective, juin 1984, p.13.
  56. https://www.csn. qc.ca/plan-de-travail-condition-feminine-2014-2017/.
  57. procès-verbal, conseil fédéral FNEEQ, 17-18-19-20 juin 1982, Annexe iV, p. 1.
  58. Ibid.
  59. FNEEQ Actualité, vol. 1, no 1, octobre 1987, p. 6. c’est le titre d’un manifeste du comité de condition féminine publié en 1985 dans le cadre de la négociation des cégeps.
  60. procès-verbal, conseil fédéral FNEEQ, 9 et 10 décembre 1982, annexe 2, p.1.
  61. Rose Pellerin, « Quand les femmes s’organisent… », FNEEQ Actualité, vol. 3, no 3, mars 1990, p. 4.
  62. Manon Bergeron et autres, Violences sexuelles en milieu universitaire au Québec: Rapport de recherche de l’enquête ESSIMU, Montréal, université du Québec à Montréal, 2016, 99 p.
  63. conseil supérieur de l’éducation, La situation des femmes dans le système d’enseignement : une double perspective, juin 1984, p.18.